mercredi 23 novembre 2011

Fragrances (2)

Le début de l'histoire est là.

Caroline n’était pas loin. Physiquement s’entend.
Pour le reste, elle était ailleurs depuis pas mal de temps elle aussi et dans son cas, beaucoup de choses étaient devenues sans importance aucune. Elle évoluait dans d’autres sphères. Elle avait terriblement maigri, et sans faire squelette, on voyait bien que la peau sur les os asséchait sa silhouette que je continuais pour ma part à trouver fort jolie.
Elle ne semblait pas rongée : elle l’était. Bouffie, allongée. Son visage avait perdu son ovale pendant que la pupille avait gagné en noirceur et en sillons. Tout cela tentait de se noyer dans l’alcool et les relents morbides qui lui faisaient adorer Massive Attack, un grave point de discorde entre nous. Je ne comprenais pas son attachement pour ce groupe et j’avais beau essayer de lui faire découvrir mille et un trucs, rien n’y faisait, toujours elle y revenait, c’est comme un havre, tu comprends, elle me disait, j’ai mes repères, je me sens bien, c’est mon monde. En plus de sa vie de tous les jours, elle avait ajouté une autre vie, celle des nuits sans sommeil, du tabac froid, des rencontres éphémères, des sexes assoupis, des réveils sans mémoire. Oublier Daniel, mais pas que ça.

Nous tenions bon notre promesse, héritée d’une soirée feu de camp dans le Jura où restés tous les deux bien après que les autres soient allés se coucher, nos frôlements avaient fini par nous inquiéter.
J’ai peur, avait soudain soufflé Caroline dans mes oreilles alors que mes mains étaient plus proches que jamais au point que moi-même je n’y croyais pas. J’ai envie, très envie, elle murmura, mais déjà, je ne l’entendais plus. Je ne voudrais pas que nous foutions tout par terre, Marc, je pense que ça ne serait pas une bonne idée que nous le fassions.
Les points de suspension m'avaient terrifié. C'est comme si soudain, nos lèvres s'étaient mises à parler une langue inconnue, un langage inoubliable pourtant. Car il m'avait ensuite trotté dans la tête plus d'une fois, et il m'arrivait encore de l'entendre.
Je m’étais levé en lui disant l'exact contraire de ce que je pensais, quelque chose du genre, tu as raison, restons-en là, ne nous quittons pas, ne nous quittons jamais.
Mille fois elle avait eu raison. Mille fois je m'étais maudit.
J’avais longtemps porté une douleur insupportable dans le bas-ventre. Ce soir-là, apaisée, soulagée, satisfaite, elle s’était endormie la tête contre mon épaule pendant que j'avais été incapable de trouver le sommeil, crampes dans les jambes, dans les pieds et une furieuse envie de jeter du caillou. J'avais laissé crever le feu de bois. Je ne bougeai pas et fit promesse. Elle devint ma sœur.
Je comprenais sa réaction. Combien de nos amis s'étaient oubliés après le rubicon ? Combien de galères s'étaient jouées après des lèvres trop pendues ou des verres mal embouchés ?
Le lendemain, elle mettait sa main dans celle de Daniel alors que nous randonnions le rire aux éclats parce qu’une averse avait éclaté sans que nous ayons pensé une seule seconde à le prévoir. Nous marchions hilares dans des torrents de boue. Ils s’embrassaient à pleine bouche pendant que j’enlevais la crotte épaisse qui transformait mes baskets en péniches.

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