dimanche 4 décembre 2011

Le visiteur

Photo Francis Beurrier
C'est en sortant de l'hôpital ce mardi-là que je me suis demandé si de mon côté, dans mon for intérieur, les tuyaux étaient branchés sur quelque chose. J'avais l'impression parfois que dans mon corps, ça ne tenait que de manière brinquebalante, comme si rien n'était relié à rien. Ca fonctionnait, pourtant, et depuis que j'étais né, je me demandais mais quel est donc ce miracle.
Je suis de ceux qui manquent de gaz en général dans la vie. De bouteille. De ceux qui sont branchés en courant alternatif. De ceux qui même à fond produisent quelques étincelles, pas plus. Epuisés quand même. C'est ainsi.
On dirait que depuis toujours, y'a des fissures dans mes tuyaux, trop de poids, disons, trop de charges que mes bras mal développés peinent à supporter surtout dans la durée.
Je venais d'aller rendre visite à Rodolphe.
Je n'avais rien de bien précis à faire. J'avais quelques jours de congés. Je ne savais pas quoi en faire et le sachant hospitalisé, je m'étais dit tiens, ça serait sympa d'y aller.
J'avais pris la route, suivant le macadam des yeux. Longtemps.
J'étais arrivé, trouvant place sur le parking.
J'étais entré dans une chambre, ne reconnaissant pas mon ami. Je m'étais trompé de chambre.
J'étais allé dans la suivante. Je m'étais trompé d'étage.
Je finis par arriver, me rendant compte en voyant fleurs, chocolats et bouquins posés sur la table de chevet, que j'étais venu les mains vides. Je ne m'en offusquai pas. Je n'y avais pas pensé.
Je me demandais juste, regardant les fils  qui reliaient Rod à des machines sur quoi débouchaient au juste les miens. Ce qui les alimentait.
Je haussai les épaules de l'intérieur, me répondant que ça ne devait pas déboucher sur  grand chose, chassant cette idée vide, regardant l'ami qui dormait, observant sa respiration, le trouvant calme et tranquille, finalement, me demandant si ça faisait cela, passer à deux doigts de la fin.
Je n'osais pas le sortir de là, et finalement, je ne disais rien.
J'étais reparti dans l'examen de par la plomberie. Cela me glaçait, mais peut-être était-ce le fait de me retrouver dans un hôpital ?
Je n'étais en outre pas doué pour la visite. Je ne savais ni quoi dire ni quoi faire ni comment me comporter. Je me dandinais, comme perdu dans ma carcasse, comme si ce corps qui était le mien était finalement devenu bien trop grand pour moi. Je me paumais là-dedans, tour à tour trop grand, trop petit, trop gros, trop maigre. Pour un peu, je me serais allongé moi aussi. J'aurais demandé à ce qu'on me branche sur quelque chose. J'aurais écouté le bip bip.
J'étais content que Rodolphe dorme car je n'étais pas obligé de sourire, de trouver des mots, mots qui ne venaient pas, qui ne venaient jamais au moment qu'il faut disons, puisqu'en général, ils me venaient par la suite, lorsque je me retrouvais seul.
Je fus soudain assez pressé de partir.
Je fermai les yeux en posant une fesse sur un fauteuil noir et m'arriva dans la gorge une bouffée sèche en même temps qu'apparaissait la vision d'un robinet tout bancal et surtout complètement rouillé. Le genre qu'on n'oserait pas actionner de crainte de le voir récalcitrer puis tomber en poussière. Voire en cendre.
J'avance dans la vie comme un étranger à tout à commencer par être étranger à moi-même.
J'en ai fait une sorte d'esthétique mais elle me contraint de forcer sur les nerfs.
Je suis aussi de ceux qui pensent qu'une journée, c'est bien plus que vingt-quatre heures. Ou plutôt, qui pensent que vingt-quatre heures, c'est vachement long. Et souvent, vachement trop.
Rodolphe a fini par émerger et m'a demandé si ça allait.
Je ne trouvai pas incongru que les rôles soient à ce point inversés.
Je lui répondis que oui, et toi, ça va ?
On fait aller, il dit, trouvant la force de sourire. C'est sympa que tu sois venu.
C'est normal, c'est la moindre des choses, je précisai. Tu as besoin de quelque chose ?
De sortir d'ici, il sourit. Mais ça n'est pas possible.
Au lieu d'enchaîner, je précisai que non ce n'était pas possible. J'étais glacé dedans et je commençais à bouillir en surface. Une infirmière qui mit une éternité à débouler me sauva du coup la mise. J'en profitai pour partir. Je promis de revenir. Elle m'adressa un sourire en me tenant la porte. Je pensai quelques minutes plus tard, au volant, que j'avais aimé ce sourire.
Je décidai alors de l'attendre.
Il fit nuit.
Elle était de garde.
Je décidai de partir au petit matin.
Elle ne le sut jamais mais lorsqu'elle quitta l'hôpital, pressée de retrouver sa fille, elle vit une voiture s'éloigner.
C'était la mienne.
Je ne l'avais pas vu dans le rétroviseur.
j'actionnai le robinet.
Il vola en éclats.

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