vendredi 2 décembre 2011

Solange

Solange avait, depuis peu, la soixantaine adolescente. Pas de ces retours de jeunesse assumés. Non. Plutôt une excitation inconsciente et effrénée vers des limites toujours repoussées.
Exprimé comme un rattrapage de temps perdu, sans doute alimenté par une mode du "s'occuper de soi" déclinée sur papier glacé ou écrans de télé-raccoleuse, le changement de vie de Solange dépassait le ridicule.
Récupérer un deuxième prénom jadis haï, le placer devant le sien, écraser le tout, pour présenter une Marisol toute neuve, prouve la créativité dont on est capable lorsqu'on veut faire table rase du passé.
La répprobation de ses proches, amis, voisins et enfants même, n'eût jamais aucun effet sur les divagations de Marisol. Aucune menace sous-jacente, chantage explicite ou affrontement direct n'ont pu arrêter la tornade grisonnante. Il fallait faire avec. Pas par respect des choix des autres, mais par impossibilité à expliquer rationnellement des comportements irrationnels. Deux plans aussi parallèles ne se rencontreront jamais.
Mais, c'est la morale qui parle et la morale est, non seulement subjective, mais emmerdeuse et castratrice. Exit la morale ! Marisol s'en tape. Marisol n'est plus Solange et ses valeurs ont changé de bord.

Quelqu'un qui manquerait d'informations verrait dans le personnage une cougar dévoreuse, une ogresse épicurienne ou une pétasse extravagante. Pas du tout ! Marisol se libère et pète les plombs dans "l'air de son temps". Adepte des camps de naturisme et des chemins de grande randonnée, elle s'éclate Bio griffée Vieux-Campeur, elle s'envoie en l'air aux antipodes dès qu'un forfait tout compris attire sa souris d'ordinateur, elle se goinfre au guide Michelin et se ruine en chevaux de course ou sous le capot en exprimant sa simplicité. Son compte en banque de baby-boomeuse lui permet ses excès et son troisième veuvage nous permet nos suspicions.
Poussée par la peur de manquer de temps pour tout claquer, elle vit à cent à l'heure et n'oublie jamais de prouver son affection par des cadeaux hors de prix.
Ses choix humanitaires et autres convictions tiermondistes ont vécu. C'était la vie d'une autre. Ne lui en parlez pas, son ardoise magique a tout effacé un matin d'hiver, au retour d'un cimetière.
Elle venait d'enterrer sa dernière chaîne, sa dernière attache : Une mère adorée partie à son heure. Plus rien ne retenait Solange d'exploser sans scrupules. Le passé passé, la ligne d'arrivée inconnue, son destin en mains, elle décida ce matin-là du sprint final. Elle y mit, sans le savoir, quelques formes et qualifia sa fuite en avant d'hédonisme responsable.
Le tour était joué. Les jugements seraient jalousie et les critiques mesquinerie.
Marisol vit la vie de Marisol plus courte que celle Solange et elle le sait. Alors, jugeons, moralisons, agaçons-nous, fuyons même, elle s'en fout comme de sa première Solange, demain elle a rendez-vous avec son chirurgien esthétique, celui qu'elle a rencontré dans un trek en Tanzanie l'été dernier.

2 commentaires:

  1. Ben moi, ça me fait froid dans le dos, ce genre de destin.
    Impression d'une ville pleine de néons et d'enseignes qui clignotent. Et des égouts qui dégueulent. Ce culte du plaisir est finalement assez effrayant lorsqu'il est ainsi mis en scène.
    La marisolite a néanmoins de l'avenir, il me semble. Ca recrute jeune, même !

    RépondreSupprimer
  2. "froid dans le dos" ? Un peu fort, non ?
    Moi ça m'attriste. C'est tout.

    RépondreSupprimer

Related Posts with Thumbnails