Je n'aime pas les anniversaires. L'idée qu'un jour soit plus important parce qu'il porte le même nombre sur un calendrier m'est toujours apparue assez puérile. Qu'en plus on fête la date, ce n'est plus puérile, c'est débile.
Et j'ai été débile. Il m'arrive encore de l'être. Et ça ne change rien au constat.
Je n'aime pas les anniversaires mais j'ai beaucoup de mémoire.
Si un jour, j'ai eu connaissance d'une date, je la retiens. Ceux qui me connaissent le savent et il ne me viendrait pas à l'idée de dire que j'ai oublié tel anniversaire de telle arrière petit cousine, personne ne me croirait. Je décide donc de ne jamais appeler les gens pour leur anniversaire. Au mieux, je dis à ma compagne, "Tu sais qu'aujourd'hui c'est l'anniversaire de... ?" Elle se charge des apparences sans que cela lui pèse, sans même que cela soit, pour elle, une apparence. Et c'est parfait.
Et pourquoi parlé-je d'anniversaire ? Ah oui, ça me revient. (Vaudrait mieux pour quelqu'un qui vient de se vanter d'avoir de la mémoire)
C'est parce qu'aujourd'hui, jour pour jour, cela fait 36 ans que j'ai commencé à travailler "dans la vie active". Un vrai travail, numéro de Sécu, charges sociales et tout et tout.
23 juillet 1974. Il est 7h 55 et je frappe à la porte vitrée opaque de la BNP Chaville. Un peu mal à l'aise dans la veste de mon frère aîné et le trouillomètre à zéro, mes seize ans et demi vont affronter le monde du travail. Évidemment, je suis arrivé une demi-heure à l'avance et j'ai attendu dans la rue d'à côté. De la marge pour prendre le train, de la marge pour la marche jusque là, de la marge pour pallier aux retards SNCF et de marge en marge, j'avais prévu deux heures pour un trajet d'une au maximum.
36 chandelles, ça souffle dans les couloirs de la mémoire ! D'anecdotes en détails, de révolutions en temps qui lasse, le catalogue est assez lourd. Rien d'exceptionnel pourtant, une vie... comme celle des autres, une banalité originale. C'est l'arrêt sur image qui la rend riche.
C'était parti. Pour longtemps.
Ces premières années furent les plus belles. Le "surdoué de la banque" avait été ainsi surnommé parce qu'il comprenait ce qu'on lui disait dès la première fois et qu'il faisait bien ce qu'on lui demandait de faire. C'est tout. C'est pas dur d'être surdoué.
J'ai longtemps cru que c'était à la portée de chacun, c'est tellement facile. Et c'est le jour où j'ai découvert des mots que je ne connaissais pas qu'apparurent les désillusions. "Manque de rigueur" "Fainéantise" "Égoïsme" "Manque de concentration, d'implication, de responsabilité". Cela existait donc. Le monde était foutu. Puisqu'en plus, tout cela était toléré, admis, excusé.
Ce fut ma première découverte de la normalité vue comme exceptionnelle.
Dernièrement, un ami qui venait de rencontrer mes frères, me fit tout un discours sur notre gentillesse, notre disponibilité et notre serviabilité. Je retombai des nues. Nous étions comme tout le monde. C'est notre vision des autres qui nous fait croire qu'ils ne sont pas ainsi. Vivre en pensant que les gens sont méchants, c'est désespérant.
Et, bien que ma conscience s'est ouverte un jour, me laissant quelques blessures, je me fais un devoir de croire que tout le monde est, a priori, gentil, serviable, attentionné, responsable et rigoureux.
Bon anniversaire au petit gars, derrière la porte vitrée, dans la veste de son frère.
Commémorons, alors.
RépondreSupprimerN'anniversairons point.
Merci pour ce "rappel" ;-)
De l'art de me faire me demander : est-ce bien ou pas bien se comprendre vite les choses ? D'un côté, on y gagne. D'un autre, on y perd.
Je vais voter pour le qui gagne :-)
De l'art aussi de rappeler que normalité des uns n'est pas normalité des autres, et que réalité des uns...
A méditer pour prendre en compte ces autres...