Elle arpente la place en plein soleil. Son maquillage grossier dégouline et son accoutrement fait peine à voir.
Elle porte un plateau suspendu à son cou, comme les ouvreuses d'antan. Mais pas de jupette sexy à l'étage du dessous. Seulement une lourde jupe ample qui fricote avec des sabots, des vrais, ceux de la campagne. Une coiffe d'un autre âge lui coupe le front en deux et sans doute empêche toute circulation sanguine vers le poste de contrôle. C'est en voyant le tablier, qui dut être blanc un jour, que le passant comprend que la jeune femme est déguisée en Bécassine.
Déguisée en Bécassine en plein soleil, en plein mois de juin, en plein Midi. Quelle idée !
On sent le tempérament suicidaire. Cela se confirmera.
Le meilleur service à rendre à la bécasse est de l'ignorer. Inutile de lui offrir un regard. Cela pourrait lui rendre la conscience et lui être fatal ; car, quoi qu'on en dise, le ridicule tue. Et c'est tant mieux. C'est ce que choisit de faire, en bon samaritain, le passant pressé.
Mais la cruche ne l'entend pas ainsi. Telle une gourgandine sans vergogne, elle accoste le chaland.
- Je vous vends un préservatif.
- Non merci.
- Mais c'est un euro. C'est pas cher. Et puis je me marie demain. C'est pour l'enterrement de ma vie de jeune fille.
- Ce n'est pas une question de prix. N'insistez pas Mademoiselle.
- Mais alors c'est pourquoi ?
Il prend sur lui, ne dit rien. Il sait qu'il aurait pu en trois phrases bien senties lui imprimer un souvenir de veille de mariage indélébile et apte à vous bousiller quelques bons moments pendant plusieurs décennies. Il ne le fait pas. Plus par fatigue inutile que par lâcheté.
Mais, franchement, Bécassine et ses semblables auraient bien mérité une leçon. Et d'ailleurs ne serait-ce pas charité chrétienne que de dénoncer la bêtise ambiante et d'ouvrir les yeux des niais et niaises qui se font un devoir d'abaisser le niveau moyen de l'espèce humaine ?
Chagriné par tant de médiocrité, surtout de la part de la jeunesse qu'il aurait voulu non-conventionnelle, révolutionnaire, critique et progressiste, le passant ne sait plus dans quel ordre il aurait assommé l'insistante qui eut la bonne idée de se tourner vers une âme qu'elle crut plus charitable et qui n'était que complice d'un futur sans ambition.
Aurait-il commencé par pourfendre l'institution mariage ou par expliquer en quoi il était dégradant de se déguiser ainsi ? Aurait-il relevé le mauvais goût de la démarche avant ou après lui avoir proposé, pour sauver l'humanité, d'utiliser ses préservatifs ad vitam eternam ?
Peu importe. Le manque de raffinement et de respect de soi-même, de bon nombre de ses congénères continuerait sans doute longtemps à étonner notre homme.
Éternel optimiste, il ne se résigne pas et prie en silence pour que sa prochaine rencontre ait d'autres ambitions et d'autres intérêts. Surtout si elle est jeune.
Méfions-nous, certains sont devenus fous. Au lieu d'exterminer le mariage, ils enterrent les jeunes filles... consentantes en plus. Protégeons-nous. Sortons couverts.
j'ai une sainte horreur de cette tradition. toujours trouvé ça ridicule. j'avais briefé les amis qu'ils ne leur prennent pas l'idée d'en organiser un.
RépondreSupprimerquand j'ai vu que la saison des premiers enterrements de vie de jeune fille/garçon était revenue, j'ai pensé en faire un billet. et puis j'ai oublié. c'est très bien ainsi le tien est magistral.
Le commentateur en a assez de voir se multiplier les synonymes maladroits quand il est évident qu'on parle à la première personne.
RépondreSupprimerCelui qui tape dans un champ de texte s'excuse de son ton désagréable. Cela irait probablement mieux si l'internaute pouvait s'exprimer à la première personne.