Légendes assassinées

C'est peut-être cela, le pire. On ne le remarque presque plus.
Le Tour de France s'est ébroué et je suis frappé comme l'événement de naguère a peu à peu disparu de mon horizon estival. Découvrant que je ne sais plus qui avait gagné le prologue, je me suis dit, ah oui, c'est vrai, il y a le tour de France.

Je ne suis ni un spécialiste du vélo ni un fan du peloton mais j'aimais le Tour de France.
Qu'il s'élance et que j'en parle à l'imparfait me désole. Que je ne mette majuscule ni à tour ni à France me peine.
Je mesure en effet comme "on" a tué du rêve là aussi. Je ne peux m'empêcher de me demander si le foot va suivre le même chemin. Je mesure en même temps comme j'ai laissé faire la tuerie, la prenant au fur et à mesure sans lire au-delà des lignes, complice.
Je me souviens, gamin, admiratif, fasciné par ces types aux airs de géants qui se cognaient des milliers de kilomètres l'été venu, franchissant montagnes et plaines, retenant en haleine les badauds au rythme de leurs joutes. Je me souviens, gamin, de l'élan suscité par la Grande boucle, les fêtes populaires organisées dans son sillage.
C'était du rêve devant sa porte, lorsqu'il passait par là. C'était une France dévoilée chaque après-midi. C'était le souffle retenu dans les montagnes.
Et puis le commerce. Et puis le dopage. Et puis les mensonges. Et puis...
C'est peut-être cela, le pire. Le monstre de légende semble avoir accouché d'une souris ridicule, ils sont presque entre eux, les rois du pédaliers, on les regarde sans les voir, et si on les voit, on se demande jusqu'où ils sont chargés. Le peloton est comme une source qui serait en train de se tarir. Un mince filet.
Impression d'une époque qui massacre ce qu'elle a tant chéri. Impitoyablement. Trop de tant de choses mais des yeux qui n'étincellent plus, ou plus pareil.
Oui, c'est peut-être ça le plus gênant. La tectonique des rêves. "On" broie. Nous laissons broire. Confinés dans le braire.