mercredi 4 août 2010

Laurence et Lydia

Elle s'appelle Laurence. Mais se fait appeler Lydia. C'est comme ça qu'elle l'a dit "Je m'appelle Laurence, mais je me fais appeler Lydia" Alors, appelons-la Laurence.
C'est sur une plage, comme en consultation, qu'elle livra sa vie sans qu'on ne lui demande rien. Elle n'était pas heureuse. Elle n'avait pas fait l'amour depuis deux ans, n'avait sans doute jamais connu l'orgasme, enfin, n'en était pas sûre.
C'était le père qui s'était chargé, quelques décennies plus tôt, de casser le ressort, d'essorer l'enfance, de couper les ailes, d'éteindre les envies. Les filles, ça file droit et ça fait. Ça ne cause pas et ça pense pas. Si on ne les étouffe pas à la naissance, c'est seulement parce que ça peut servir. Servir le père et servir la demi-douzaine de frangins. La mère est muette ou le fait croire. En tous cas, elle ne bronche pas.
Et, plus tard, c'est le mari qui paya.
Le mari, aux dires de la dame, la délaissait, préférait son vélo et son ordinateur. C'était fini. Elle était invisible.
Laurence était donc victime. Du début à la fin.

Un peu facile, Madame.
Deux heures plus tard, la baigneuse allait mieux. Épaules remontées, elle reprenait confiance. Le changement était bien engagé.
Deux jours plus tard, les échanges furent plus précis et après la phase réconfort, il convenait d'entrer dans l'analyse.
Et, comme souvent, les oreilles des Laurence se font sourdes à ce stade. Trouver des raisons à l'attitude du père, se demander si le mari ne pouvait revendiquer sa part de victimisation ou expliquer que ses propres comportements pouvaient être à l'origine de la situation actuelle, tout cela était irrecevable.
Seuls importaient les compliments, ceux qui faisaient redresser les épaules.

Et ce qui aurait pu être un nouveau départ prenait les contours d'un nouveau cauchemar.
On lui avait rechargé les batteries et cela lui suffisait. Travailler sur la structure, sur le durable, c'était trop difficile. Alors, Laurence s'emballa. Page blanche. Elle crut au Père Noël.
Erreur fatale. Le futile n'accouche que de la récurrence et la chute n'est que plus terrible.

Aux abords de la même plage, l'été bien engagé, on revit passer une Laurence qui ressemblait plus à une Lydia. Faussement affirmée, elle cheminait robe légère et provocante, maquillage extravagant, cigarette de néo-fumeuse, elle était sur la pente de la décadence et se croyait dans l'ascension.
Inutile de le lui dire, elle vous prendrait pour son geôlier, pour son fossoyeur.

Un travail thérapeutique superficiel ou inachevé est pire que pas de travail du tout.

19 commentaires:

  1. Un emplâtre sur une jambe de bois...

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  2. Une fille, un père, là, la responsabilité n'appartient qu'au père quand même, non?
    Moi, je suis inconditionnelle des enfants!
    Quand l'enfance démarre mal, le chemin de la réalisation de soi est chaotique.
    Je trouve Claudio que tu as le chic des textes superbement écrits, amers...

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  3. Responsabilité du père ou pas, c'est déjà perdre du temps à se poser la question. Plutôt que chercher les responsabilités, c'est souvent plus efficace de prendre les siennes. En prenant en charge une situation telle qu'elle est, à l'endroit où elle est, même si on a rien fait soi-même pour qu'elle soit ainsi.
    "...nous sommes tenus à chaque seconde, de réinventer une harmonie avec la circonstance" (Marc Traverson)

    Sinon pour le chic, le plus souvent je n'invente rien, je ne fais que mettre en mots. Et le quotidien offre mille raisons de s'y intéresser.

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  4. Nous sommes d'accord encore une fois...Père responsable et faire avec pour avancer!

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  5. J'ai tendance à penser qu'on a pas à juger du cheminement des autres.
    Alors c'est sûr, c'est mieux de faire un travail suivi qu'un boulot éphémère, mais si tel était le choix de cette dame, après tout...
    Tout du moins son choix du moment. Son possible du moment.
    Du coup, j'ai lu ce billet en me disant que d'emblée ça partait mal : elle voulait qu'on l'appelle Lydia, appelons-la Lydia, me suis-je dit. Or non. Le billet nous dit qu'elle s'appelle Laurence, parole de parents, donc appelons là Laurence même si elle refuse cette personnalité dans l'instant...
    Dans ces affaires de travail, je crois essentiel la "participation" de la principale personne, je ne suis pas sûr qu'il faille pousser les gens dans leurs retranchements. Faire contre leur volonté. Je pense que ça peut être contre productif. Dangereux, même. Car quid des rythmes de chacun ? La question du temps, ici, me semble fondamentale.
    Rien ne dit que Lydia y reviendra, à ce travail.
    Et qu'un jour elle voudra qu'on l'appelle Laurence. Ou pas. C'est sa vie.

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  6. Certes c'est sa vie.
    Seulement, rappelons qu'elle est malheureuse, qu'elle le dit et qu'elle est implicitement en demande de changement.
    Or, comme beaucoup, elle croit que le changement viendra lorsqu'on lui donnera ce qu'elle demande (ici des compliments). Et, objectivement, elle est mal placée pour savoir ce qui est bon pour elle.
    Alors, deux solutions :
    1. Chacun sa vie, on fait ce qu'on veut et on paie les conséquences de ce qu'on fait.
    Dans ce cas, y'a plus rien à dire à personne et pas même à répondre à une demande.
    2. On considère, à tort ou à raison, comprendre où pourrait se situer la solution pour n'être plus malheureuse, rendre de l'autonomie et de la liberté, évoluer.
    Dans ce cas, il est évident qu'on doit AIDER.

    Lydia, le jour où elle reprendra conscience qu'elle n'a fait qu'aggraver sa situation, recommencera sa plainte et pleurera sur une autre épaule.
    Alors qu'il aurait suffi d'un peu d'humilité et de prise en charge pour qu'elle se réconcilie avec Laurence.

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  7. Par principe, j'aime la troisième solution quand deux sont proposées.
    J'esquisse celle-ci : chacun sa vie, son rythme de cheminement, il faut que le "implicite" devienne explicite et alors elle peut se faire aider.
    En attendant, oui, elle est malheureuse.
    Est-elle pour autant mal placée pour savoir si elle a besoin d'aide ? Je ne pense pas. Qu'objectivement, elle ne sache pas comment s'y prendre, oui mais elle seule peut donner sens à une démarche.
    Mais a-t-elle choisi de se battre ? Vraiment ?
    Ca ne coule pas de source.

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  8. En tous cas, à cette heure, elle est pas sortie.
    Selon moi, elle n'a pas choisi de se battre. Elle veut du rapide et le rapide, ça marche pas.
    De la même manière qu'elle croit que ses soucis viennent de l'extérieur, elle attend les solutions de l'extérieur.
    En cherchant le facile on s'éloigne du simple.
    Qu'elle prenne conscience que c'est à l'intérieur que tout se joue et peut-être...

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  9. Lu chez Ludivine (http://ludivine-blog.blogspot.com/2010/08/la-supreme-realite.html):
    Nous n'essayons jamais de changer, d'adopter un nouveau comportement mais uniquement de laisser descendre notre attention vers ce qui se passe réellement en nous. Nous allons nous apercevoir que cette présence est suffisante pour venir à bout de ce qui fait obstacle à la fluidité de la vie. [...] Nous saisissons que ce trouble est lié à la dynamique de l'esprit agité qui sans cesse juge, classe, accepte, refuse, fuit ou tente de s'emparer des évènements. Une attention calme va nous faire toucher une réalité différente : notre corps a une capacité illimité de s'accorder au monde avec précision, une grâce et une spontanéité extraordinaires si nous cessons de le bloquer par notre pensée qui se réfère toujours au doute, au regard des autres, à la culpabilité, à la peur fondamentale de n'être rien.
    Daniel Odier

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  10. Et que fait-on de ceux qui ont une carence en "pensée" ?
    Parce que, par les temps qui courent, on propose à tout le monde de se détendre, de vivre dans lk'ici et maintenant, de se faire plaisir, de vivre comme si on allait mourir demain, d'écouter son corps et ses émotions, de faire le vide en soi etc. etc.
    Je veux bien, je suis preneur de tout ce qui peut nous apporter la sérénité et j'ai même quelque expertise en la matière.
    Cependant, offrir cela à ceux qui se laissent déjà vivre, qui ne voient que le bout de leur nez, qui ne fonctionnent déjà que par eux et pour eux, qu'en suivant leurs instincts et leurs envies, c'est les déresponsabiliser et leur offrir des lendemains qui déchantent.
    Je pense au contraire qu'il convient de faire prendre conscience à ceux-là qu'ils doivent faire marcher leur rationalité par un effort intellectuel, de la concentration et de l'éveil permanent.

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  11. Que fait-on cependant quand cette carence de la pensée est "organisée" parfois consciemment, plus gênant parfois inconsciemment ?
    A part semer, semer, et semer encore, je ne vois pas bien ce que l'on peut faire d'autre. Car on parle à des murs. Voire on appuie tellement là où ça fait mal que le carencé y puise matière à se carencer encore plus.
    Ce que tu décris de ce que l'on propose aux gens, c'est encore et encore de la consommation. On consomme le bien-être faute de vivre la bonne conscience.Les nerfs se tendent, les muscles se tordent, les cervicales grincent, les nuits sont agitées.
    Je me demande même si la carence ne conduit pas à encore plus d'évitement, encore plus de nez sur le guidon, encore plus de bout de son nez. Comme un refuge. Comme une prison.
    Je te rejoins sur la prise de conscience.
    Mais c'est un chemin personnel.
    On ne peut pas faire prendre conscience. On peut éventuellement aider. On ne peut pas demander à quelqu'un des choses qu'il n'a pas (de la rationnalité par exemple, un effort intellectuel, de la concentration, un éveil permanent).
    C'est finalement comme le début de ce billet.
    Elle s'appelle Laurence, elle veut qu'on l'appelle Lydia. Appelons la Laurence ? Ou Lydia ? Qu'est-ce qu'on entend ? Qu'est-ce qu'on écoute ? La réalité des uns...

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  12. Semer c'est en effet tout ce qu'on peut faire. Et passer comme un train devant les yeux en espérant que ça déclenche quelque chose, car le bourrage de crâne ou le prosélytisme, ça peut avoir des effets pervers.
    Évitement, course en avant, fuite, c'est une évidence. La facilité, contre productive encore

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  13. Je n'aime pas cette idée que les gens n'auraient pas la faculté de faire autrement... de penser, prendre conscience, se concentrer etc.
    Comme il ne faut pas tricher avec soi-même (ce que font les Lydia) il ne faut pas tricher avec les autres. Et si on est en situation savoir dire, oser dire, que sans changement de comportement, d'attitude, d'état d'esprit, on n'obtiendra rien d'autre que plus de la même chose.

    Alors si les Lydia veulent tricher avec Laurence, qu'elles le fassent et qu'elles la ferment.
    Si en revanche, être entre deux eaux, leur procure un mal être et qu'elles sont en demande d'autre chose, notre devoir est de leur ouvrir les yeux sur le fait que c'est avec Laurence qu'elles doivent faire la paix et que se déguiser en Lydia ne fait qu'embrouiller la situation.
    Ce sont des Laurence, qu'elles soient complètement des Laurence.

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  14. Depuis le début je me demande si Laurence était en attente ? Cela semble couler de source. MAis l'a-t-elle formuler explicitement ?

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  15. Cette Laurence était en attente, fais-moi confiance. Cela ne pouvait pas être explicite : un inconnu, inspirant confiance bien sûr, mais sur une plage...
    Difficile d'être explicite.
    Mais, se livrer à ce point en si peu de temps et, explicitement cette fois demander comment faire, des astuces, des trucs, je considère que c'est être en demande.
    Et à la deuxième rencontre, être aussi enjouée, curieuse etc. etc. c'est être en demande.

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  16. Et ça ne t'a pas semblé suspect ? ;-)
    Sa demande est claire : des trucs, des astuces.
    Une demande à sa façon avec le décodeur le lendemain.

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  17. Bien sûr que si.Mais que faire ? faire quand même. A tâtons.
    Après...

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  18. Je me demande quand même si tu n'aurais pas projeté sur elle tes attentes. Ou décodé pour elle ce que tu aurais aimé qu'elle fasse.
    En même temps, c'est humain.
    Imaginons qu'elle soit visuellement de charmante compagnie. Sur une plage. Désireuse de changement. Forcément ;-)
    Et puis le lendemain, argh !
    Non ? :-)

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  19. On en reparlera... de vive voix ;-)))
    Mais j'ai comme l'impression, dit modestement, que c'est elle qui "projetait" des choses.
    Rappelle-moi de te détailler le truc... entre...

    Raconter l'histoire ici permettait de dézoomer et à chacun de voir si, par hasard, ces comportements ne seraient pas plus courants qu'on croit.

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