mardi 28 juin 2011

PASSAGE PROTÉGÉ


Ils ont.. oh, bien plus que moi, bien plus que vous, bien plus que 80 ans et sont toujours là. Lui c'est Claude, elle c'est ...elle... Je réalise que je ne connais pas son prénom.
Ils habitent leur 3 pièces coquet dans un immeubles des années 70.
Le matin, ils peuvent accueillir le soleil qui se lève sur la mer, et vérifier la ponctualité des trains. Ce n'est pas au choix, c'est un package : vue mer + vue rails.
La mer, ils l'apprécient même si la tente jaune est souvent baissée à l'arrivée des beaux jours.
Vue du haut, on la devine un peu usée, passée, mais toujours prête à protéger des rayons et de la chaleur quand ces derniers entrent de plein fouet dans leur chez eux rustique aux pièces un peu petites.
Petites mais c'est suffisant quand on à cet âge.

Jadis il y eut un chien qui habitait ce premier étage.
A l'heure où les films se finissaient, à l'heure ou j'allais récupérer mon linge dans le sèche linge, je voyais Claude sortir le toutou et rejoindre ses copains, ceux à qui la corvée du pipi incombait. J'imagine que Madame, elle, se préparait à se mettre au lit. Nous les femmes nous sommes toujours plus longues, le cérémonial du coucher prend toujours beaucoup plus de temps, alors Madame prenait de l'avance, pour que l'arrivée soit synchro...

Dès le printemps, si vous vous premeniez du côté du port, à coup sur vous croisiez Claude et sa dame entrain de siroter un verre à l'ombre d'un parasol. Lui un peu rustre, elle le "Bonjour Madame" toujours poli, souriant.
Il y eut bien des fois ou je me suis dit en rencontrant Claude, l'air renfrogné et le bonjour du bout des lèvres "Il a encore apprécié la crise de la petite... On a quand même la chance d'avoir des voisins sympas".
Claude, un brin sourdingue, vint pourtant un lendemain de fête s'excuser d'avoir frappé au plafond pour nous faire taire.. Il avait été excédé.
Pour le coup, c'est nous qui avions été sourds. Ses coups de balais, jamais nous ne les avons entendus.. pourtant il était tout penaud..et c'est en grand Prince, que d'un geste de la main, mon homme lui fit comprendre qu'on ne lui en tiendrait pas rigueur "Va je ne te hais point..."
Sale jeunes que nous étions.

Au 1er étage, ils prenaient toujours l'ascenseur mais quand nous arrivions ensemble devant la porte de l'élévateur, Madame me disait "Allez y, vous êtes chargée, et puis vous êtes au deuxième, et puis on a tout notre temps, on est à la retraite..".

Sa voix a lui est bourrue, sa voix à elle est chevrotante... Sous ses rides fines de peau très pale, on devine une beauté jadis bien réelle.
Sa carrure à lui est athlétique, tandis qu'elle est petite et menue, toujours bien mise, joliment coiffée....

Mais tout ça c'était avant, avant qu'un beau jour, ils décident de traverser sur un passage protégé, ce même jour où un motard semble pressé et oublie que comme son nom l'indique, les traits blancs sur la route sont là pour protéger le piéton.
C'est Claude qui va tout prendre pour protéger sa dame... Elle, ne serait plus là si...
Les semaines de convalescence succèdent aux jours interminables d'hôpital.
Madame prend toujours l'ascenseur, mais seule. Le chien n'est plus là. Son sourire est déjà moins flagrant. Sa voix est moins enjouée et sans doute plus chevrotante. Encore plus.

Et puis Claude rentre un beau jour. Claude est l'ombre de lui même. Cet ancien prof de sport est décharné, maigre. La canne prend la relève du déambulateur . Il se renfrogne de plus en plus. Lui arracher un sourire, est devenu mission impossible. La TV est de plus en plus forte et de plus en plus allumée. Du matin au soir.
La sortie journalière s'est considérablement raccourcie. Dans le meilleur des cas, c'est la place, quand ce n'est pas un tour sur le parking.. "Par ce que le docteur a dit qu'il fallait marcher".
Depuis la mort de la centenaire, ils sont sans conteste les plus vieux de l'immeuble.
A l'époque, les croiser dans les escaliers ou dans l'entrée, c'était prendre le risque de s'entendre dire "Ah, la petite elle n'était pas contente ce matin"...Honteux, juste un oui inaudible la tête baissée, c'était notre réponse... depuis l'accident, c'est l'angoisse de le voir dépérir un peu plus chaque jour.

Comme un malheur n'arrive jamais seul, l'autre jour c'est Madame qui est partie en ambulance. Claude est resté seul, puis son fils de 60 ans passé, vieux garçon gendarme (de cause à effet?) est venu passer du temps avec son père.
Oh, c'est rien des problèmes de vieux, la santé qui fout le camp....Ca c'est ce que Claude dit. C'est une tumeur au cerveau, ça c'est ce qu'en disent les médecins, et le fils.
Mais il vaut mieux que Claude l'ignore. Ca n'arrangerait pas les choses.
La télé hurle toujours, mais plus d'éclats de voix, ils ne s'engueulent plus. Avec qui voudriez vous qu'il s'engueule ce pauvre Claude, avec son fils?

Et puis ce soir, il est 18h30, le linge m'attend dans la machine, il attend le transfère vers le sèche linge. Je me penche au balcon et je vois sa grand silhouette toute voûtée, sa casquette sur la tête. D'une main il tient sa canne, de l'autre.. ça ressemble à une housse de boules de pétanques... Mais je doute... pourtant.
Soudain j'entends cette voix chevrotante, familière "Allez, profite...".
Ca vient de dessous. Il se tourne et me regarde. Son regard est dur, presque accusateur. ET puis "ouh ouh, là, c'est moi.. allez, profite bien, amuse toi et ne t'inquiète pas, je vais bien".
Son regard ne s'est pas adouci, mais il l'a a du la voir, celle qui vient de lui parler. Il tourne les épaules et reprend son chemin. Il semble si vulnérable à présent.
J'ai un noeud dans la gorge.
Elle est rentrée, mais pour combien de temps?
Claude semble vraiment très fatigué.
Sa voix a elle est calme et rassurante, à la façon d'une mère qui parlerait à son enfant.
Son pas à lui est hésitant, mal assuré... Il s'éloigne. Je le vois disparaître à travers les feuillages des arbres touffus du boulevard.

Toute une vie à partager, à s'aimer, à se querelle, à vivre quoi! Et arriver comme ça, sur la fin.. à devoir se cacher des choses, pour tenir, pour protéger.

Une vie qui bascule, sur un passage protégé.. qu'elle ironie ......et c'est le début de la fin....

3 commentaires:

  1. Je lis, j'accroche, décroche, me raccroche. Je me dis que ça ne lui ressemble pas à Louis-Paul. Bon, le sujet, oui, bien sûr, mais l'écriture c'est pas ça. Il n'aurait pas osé aussi long. Il l'aurait travaillé un peu plus. Et puis si, il a dû oser. Faudra que je lui dise que, mince, avec un poil d'attention, on aurait lu dans la fluidité et on aurait tout ressenti fortement au lieu d'accrocher et de se concentrer. Mais c'est bien il a osé Louis Paul, je suis content. Mais non, ça colle pas, ce récit au féminin, c'est trop téméraire pour un galop d'essai. Oui mais qui alors ? Je connais bien ces "imperfections", ces fautes de frappes, ces efforts faits mais aussitôt relâchés mais je ne pourrai pas y associer un nom.
    Et c'est seulement à la lecture de la signature que je m'en veux de ne pas avoir deviné. Parce qu'à la relecture, photo aidant, je me dis que vraiment, je n'ai aucune excuse.
    Merci Madame. C'est un honneur de vous lire ici.

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  2. Alors.. voyons.. Comment prendre ce commentaire...
    Très bien.
    Pas abouti pour Louis Paul, peu fluide.. des imperfections. mais c'est bien sure.. moi!
    C'est que donc, visiblement, j'ai un style.. C'est déjà un début!
    Blague à part. tout ce que tu dis, j'en suis consciente. En le lisant et relisant, j'avais conscience de tout ça, mais il me manquait ces liants qui font la fluidité.; je me suis plusieurs fois dis en relisant que pareil, on accroche, on décroche, trop saccadé.. Du trop et du pas assez...; Peut être un problème de concordance des temps...
    Mais ça fait quelques temps que ça me travaille de ré-écrire un peu et particulièrement ici. Il m'arrive souvent, lors d'un événement, sur quelques secondes, de me dire "Ca!" et puis quand j'arrive à la maison, l'inspiration est passée. Mais ça m'arrive de plus en plus souvent c'est sans doute signe que ça revient....
    Hier ce fut du quasi instantané, ça sortait comme ça. Je savais que si je passais du temps plus tard, à relire, à corriger, à remanier, ce texte ne serait jamais publié.
    J'ai fait ce choix.

    Merci en tous cas pour ce retour.

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  3. Ha quand je dis et écris que billet et commentaires font un tout sur une Note d'un blogue!!! Quelle belle illustration vous en donnez ici Barbara et Claudio!
    Avec le plaisir de vous retrouver ici, merci.
    Je vous embrasse.

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