dimanche 19 septembre 2010

La silhouette du souvenir

Les arbres encore denses et les maïs encore hauts masquent presque la silhouette figée. De la route, on ne la voit pas. On l'aperçoit à peine.
Il est là, pourtant.
Bien là.
Fidèle au poste. Evidemment.

Il est là, la tête légèrement penchée. Les mains presque jointes. Le corps à peu près droit. Ses lèvres murmurent des paroles invisibles. Sa voiture, garée plus loin, rappelle qu'il est venu jusque là à pied, malgré le vent, comme pour laisser les pensées folâtrer à leur guise.
Il règne dans ce lieu anodin un silence qui n'a rien de pure forme. Le temps s'est réellement arrêté. Il est suspendu. Figé. Au diapason. Comme respectueux, lui aussi. Triste et digne à la fois. Il se souvient, peut-être, lui aussi.
L'instant est de ceux qui se déroulent à l'insu de la planète et qui envahissent un être tout entier. Enveloppé. Drapé, plutôt. Ils ont toute leur importance. Ils ne s'opposent à aucun jugement. Ils ne souffrent aucun commentaire.
Depuis plus de cinquante ans maintenant, seul, il revient là, ce jour-là. Il se poste devant cette croix discrètement érigée en bordure de forêt, à la croisée des chemins. Il y reste de longues minutes. Nul ne sait ce qu'il se passe, ce qui se dit, ce qui se transmet.
Un modeste plateau d'une colline parmi d'autres. Des vies parties, des vies restées. Un lieu du drame mué en lieu du souvenir.
On devine que dans ses yeux fermés la scène passe et repasse comme un film qui tourne en boucle. Il s'est toujours senti responsable. Etre là aujourd'hui n'est pas une politesse. C'est un devoir. Il l'honore. Bien sûr, il s'en veut. Evidemment que parfois, il se sent coupable, aussi. Mais il n'impose rien. A personne.
Il est là, seul, habité de ces autres partis à jamais, empli de tous. Il est lui, là, maintenant, il est eux, depuis ce jour-là. Tous les souvenirs ne s'enfouissent pas. Tous les futurs ne se dérobent pas.

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