dimanche 15 janvier 2012

Au bord de la rivière (5)


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Episode 2 ici.
Episode 3 ici.
Episode 4 là.



Elle l’avait croisé le lendemain de son arrivée. A la caféteria. Ce fut une décharge qui la cloua de part en part. Elle s’était organisée une vie à peine différente. Aucun homme n’était venu à sa rencontre. Et vice versa. Elle n’avait pas cherché.
Elle avait vendu le pavillon, elle n’avait jamais aimé les pavillons, surtout celui-là.
Elle fut agréablement surprise à la vente : l’acheteur lui demanda si c’était possible qu’elle lui cède également les meubles et l’équipement. Elle avait accepté. Même de lui vendre la voiture et d’autres bricoles. Elle fut assez surprise de garder si peu de choses. Quelques photos. Une bague. Ses disques. Un ordinateur. Elle ne sentait pas à faire table rase du passé. Elle trouvait plutôt que ce passé ne pesait pas bien lourd. Elle pensait parfois à Daniel. Mais sans plus. Elle se rendait par devoir sur sa tombe. Appréciant surtout le calme du lieu, surtout l'été suivant, il faisait bon, alors.
Elle avait repris son travail. S’était habituée à être la veuve.
Quelques mois plus tard, elle vit Eric à la cafétéria. Elle sentit que son nulle part venait de basculer et que peut-être même il allait l’emmener quelque part. Elle ne lâcha pas le morceau. Laissa cet homme bousculer ses pensées. Réveiller ses rêves. Ils s'étaient pourtant à peine parlé.
Malgré le rien qui accompagna pendant quelques temps leur aventure, connaissant son amie et son incroyable patience, Sandra venait de temps à autres aux nouvelles.
- On n’est pas non plus dans une course de vitesse, avait dit Audrey un jour.
- Oui mais quand même. Tu ne vas pas passer ta vie à attendre, transie, qu’il te dise quelque chose !
- Mais je n’attends pas, je n’attends rien, Sandra. Je ne suis pas comme toi, moi. Je sais que j’ai besoin de temps. Et je pense que lui aussi. Je m'accommode très bien de la situation, crois-moi. 
- Tu parles, tu ne sais même pas s’il t’a vue. Si ça se trouve, il n’a aucune idée du fait qu’une Audrey l’attend quelque part. Euh, je veux dire, est tout près de lui, là, sous ses yeux, tous les jours. Une Audrey qui a flashé sur lui et qui ne dit rien, parce que jamais elle ne dit les choses, elle attend que ça se passe.
Audrey ne s’offusquait jamais des envolées de Sandra. Elles étaient si différentes, elle s’était habituée. Elle n’en loupait pas une miette, même.
Sandra était de tous les coups, si l’on peut dire. Présente sur les réseaux sociaux, prompte une semaine sur deux à fréquenter les boites les plus sombres et à répondre aux invitations y compris les plus loufoques, charmeuse, et puis l’autre semaine, celle où avait ses enfants, métamorphosée en mère admirable et disponible, en mère éplorée, aussi, car alors, sa solitude lui déchirait les tympans.
Chaque jour devenait une gorgée dont elle s’emplissait et dont elle se vidait sitôt les enfants retournés chez leur père.
Même à cela Audrey s’était habitué. L’avait admis. Accepté. D’emblée. Une simple question de principe. Elle avait toujours eut cette capacité, ce don disaient ses parents, cette force ajoutait Sandra.
- Comment tu fais donc pour être comme ça ? lui demandait souvent son amie.
Ce jour-là, elles en parlèrent. Sandra s’était resservi un verre de Porto.
- Tu bois trop. Il n’est que 16 heures.
- Je n’aime pas le Porto, de toutes façons.
- Alors, tu me réponds ? Comment tu fais pour prendre les événements comme ça ? Tu es égale. On dirait que rien ne te choque. Que rien ne te surprend. Des fois, franchement, ça me fait peur. J’ai peur pour toi. 
- Mais non. Tu le sais comme moi. C’est pour toi, que tu as peur. Et on en a déjà parlé six mille fois. Je n’ai pas peur.
- Alors pourquoi il ne se passe rien avec ton Eric ?
- Ce n’est pas mon Eric. Et il se passe rien parce que pour le moment, il n’y a aucune raison que quelque chose se passe. Je suis bien, moi, avec cette sensation qui me fait penser à lui, qui me saisit quand je l’aperçois. Je m’endors avec le soir. Des fois, je me réveille avec elle. Je n’en demande pas plus.
Eric, de son côté, n’avait rien vu. Rien capté, disons.
Il l’avait aperçue à la cafeteria, il avait regardé sa nuque pendant qu’il attendait pour son café, aimant cette nuque, se disant on dirait qu'elle n'attend que moi et puis il s’en était retourné à ses occupations.
Dans ces grosses boites, on croise toujours beaucoup de gens et si l'on s'arrête quelques instants sur un nouveau visage, on reprend vite ses habitudes, comme de vieux chaussons.
Le lendemain, elle était passée dans le couloir, cherchant de quoi décorer son bureau. Il ne se rappelait plus tellement le son de sa voix mais se remit la nuque en tête. Sourit. Apprécia cette femme qui lui donnait un sourire. Elle s’était servie en affiches diverses et s’en était repartie. Par la suite, il l’avait aperçue quelques fois. Elle travaillait là elle aussi.

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