lundi 28 novembre 2011

Au bord de la rivière (3)

Le début de l'histoire est là. La suite est ici.

Quelques jours plus tard.
Il n'est pas encore 13 heures et le temps n'a plus vraiment d'importance.
D'un accord commun, il s'est suspendu.
C'est aujourd'hui.
Chacun sait que cette fois n’est pas comme les autres. Que rien ne sera plus pareil après. Et qu'avant déjà semble loin, tout ramassé, une toute petite étincelle dans un océan de minutes.
Plusieurs mois se sont écoulés, déjà. Mais c'est juste un hier. Un hier de rien du tout. Chacun sait ce qu'il va se passer. Ni elle ni lui ne savent comment ça va se passer. Ce qu'ils vont trouver.
Ils ont mangé, comme les autres jours, chacun sur ses genoux, sandwich pour lui, salade pour elle.
Ils sont au bord de la rivière. Pas âme qui perce alentour, ni pêcheur, ni jeunes qui braillent, ni promeneur en quête de vent. Pas de vent non plus. Peut-être juste quelques carpes qui nagent tranquillement. Pas d'aviron, en tout cas.
Ils se jettent des regards comme des éponges qu'on aimerait offrir à l'autre. Ils se les jettent à la figure ne sachant quoi en faire.


Eric trouve le moyen de se demander quel âge il a au juste à cet instant. La question parfois le taraude.
Audrey a perdu son mari il y a quelques années. Déjà.
Un cancer.
Six mois assez incroyables, en fait. Elle s’est retrouvée veuve dans l’église avant d’avoir réellement pu comprendre ce qu'il se passait. S'est même étonnée d'être dans une église en ployant sous les assauts humides de dizaines de personnes venues là.
Elle y repense, là, tout de suite.
Ils n’étaient pas spécialement un couple heureux. Mais ça allait. Ils s'étaient plus et ne se déplaisaient pas encore. La vie filait son bonhomme de chemin. Il était rentré un soir, blanc comme jamais. N'avait pas posé ses clefs sur le meuble, n'avait pas ôté ses chaussures. Il était allé s'allonger sur le canapé, comme ça, directement. Elle finissait de préparer le repas. Ou bouclait un dossier. L'ordinateur était allumé. La télévision éteinte. Elle avait profité de la fin de journée pour mettre un peu de musique. Un triple CD, une compilation en fait, intitulée Silence. De la musique douce.
Elle se rappelait précisément qu'au moment de son arrivée, c'était un morceau de Mozart, Larghetto From Clarinet Quintet. Larghetto.
Elle avait fini par s'approcher. Elle venait s'enquérir de son appétit. Savoir ce qu'il voulait. Comment il allait. Elle avait avancé tout doucement au cas où il se soit endormi. En réalité, il la fixait de ses yeux ronds comme des billes et emplis d'une lueur qu'elle ne lui connaissait pas.
Il ne la laissa pas lui caresser le visage. Elle l'avait entendu murmurer quelque chose. Des mots qui ne sortaient pas.
Tu as dit quoi ? …. Je ne t’entends pas bien. Tu dis quoi ? …. 
Il pleurait.
Puis il avait sorti de sa veste un papier. Il le lui avait tendu. Elle avait pris le courrier, le papier, du bout des doigts, tout doucement. Ses mains commençaient à trembler. Sa lèvre aussi. Elle avait compris que ce papier disait la mort à venir. Ou quelque chose s'approchant. Elle avait vu l'entête de l’hôpital. Elle décida de ne pas lire et fit semblant, quelques secondes, pas plus. Puis elle le força à la regarder. Elle lui a demandé ce qu’il y avait. Il avait déglutit. Plusieurs fois. Puis d’une voix sourde, à peine plus épaisse que de la poussière invisible, prenant son assise comme on se prépare à tomber depuis un gratte ciel, il avait dit : J’ai un cancer. … Je… Je sais que je ne vais me battre… Pas pouvoir… Je vais mourir, Audrey. ... Je ne pas envie de me battre. Je n'en ai pas le courage. Je sors de l'hôpital, je ne t'avais rien dit pour que tu ne t'inquiètes pas, pour que tu ne viennes pas avec moi, aussi. Le médecin m'a expliqué. J’ai décidé de refuser tout traitement. Je ne veux pas crever comme un chien. Je….
Elle pleurait avec cette étrange sensation que c’étaient ses larmes à lui.
Il lui avait demandé de respecter sa volonté. Elle le fit.
Elle se demandait encore maintenant si elle avait raison de le suivre comme un seul homme.
Ils s'étaient mariés, ils s'étaient aimés. C'était comme si la cause était entendue. Et d'une manière certaine, elle l’était.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Related Posts with Thumbnails