mardi 29 novembre 2011

Il fait noir la nuit

Photo : Barbara Lecomte.

Ils ont décidé que chaque vendredi, tous les lampadaires de la ville seraient éteints. Toutes les enseignes. Les feux de signalisation. Et même les gyrophares. Ils ont décidé aussi que tout se rallumerait le lundi matin. A 5 heures. Quelques uns piaffaient, mettant le réveil à 4 h, ou 4 h 30. Des nostalgiques.
Les premières semaines, beaucoup trouvaient cela drôle. Amusant. C'était comme un jeu.
Soudain, il faisait nuit la nuit. Noir le soir. On jouait dans les rues, à se tamponner qui contre le voisin, qui contre un mur pas vu. Des éclats de rires fusaient et prenaient volume. Des cris déchiraient.
Tout le monde redécouvrait les bruits de la nuit noire. Les silences aussi. On sursauta plus souvent. Les chats semblaient très à l'aise. Les chiens moins. Les animaux semblaient plus nombreux. Les corneilles riaient.
Dans les médias, sur le net, beaucoup parlaient de ces week-ends si différents devenus.
Tout changeait. Tout devait changer.
Quelques semaines plus tard, ils décidèrent aussi de couper purement et simplement l'électricité.
A la source.
Une sirène nous prévenait. Quatre coups. Un silence. Trois coups. Un silence. Deux coups. Un silence. Un coup. Et clac. Le silence.
Officiellement, c'était pour nous laisser le temps de nous préparer. C'était inutile. Nous avions tous bougies et lampes de poches à proximité. Avec l'habitude, le par coeur faisait son office.
Il restait cette marche lugubre vers la nuit qui redonnait son impatience au lever du jour.
Des effets inattendus se produisirent.
Les naissances. Dynamisées.
La violence. En chute libre. Sauf dans certaines mesures. Il fallait passer ses nerfs.
Les hôpitaux, les commissariats, les tribunaux. Moins fréquentés. Ou pas pour les mêmes raisons. Moins de violences, de drames, mais plus de suicides, d'auto-mutilations.
Le commerce des bougies, des lampes de poche, des briquets, des allumettes. Dopé.
Les finances locales. Et nationales. Requinquées par toutes ces dépenses en moins.
Les librairies, la presse. Boostées. Internet ? En veille à ces moments-là.
On constata aussi des terreurs nocturnes. Les cabinets des psys se remplissaient et l'on n'était pas loin de se demander si les églises, les temples, les mosquées n'allaient pas en faire autant.
Le samedi soir avait perdu de son lustre.Le jeudi devenait une nouvelle coqueluche. Des collégiens et des lycéens séchaient les cours en semaine. Les arrêts maladies s'arrêtaient le jeudi.
Et ainsi de suite.
La lumière venait du noir, en quelque sorte. L'éclaircie de la nuit.Voilà que les repas aux chandelles avaient le vent en poupe. Que les jeux de société retrouvaient du clinquant. Et du pimpant. Pour beaucoup, un vent d'absolue nouveauté soufflait. Quelques anciens se remémoraient les nuits d'antan. Des cauchemars resurgirent. Quelques uns entendaient à nouveau les bombes tomber, les chars passer, les soldats courir.

La mesure, drastique, imaginée comme telle, n'avait pourtant qu'une seule vocation : réduire la facture énergétique. Faire en sorte, avait déclaré le président, que le pays donne l'exemple, prenne une décision forte et symbolique. D'elles-mêmes, seuls raies de lumière finalement choquant dans cet océan soudain de suie, les voitures avaient cessé de rouler dans les nuits de vendredi à samedi, de samedi à dimanche et de dimanche à lundi.
Le pays se mit tout simplement à moins consommer. Et, avait-on l'impression, de moins se consumer.



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