dimanche 27 novembre 2011

Coin de soleil

Photo : Francis Beurrier - Texte : Didier Jacquot.

Je m'étais juré que jamais je n'y retournerais.
Elle était morte là, quand même.
On l'avait retrouvée il y a quelques jours. Un flingue entre les jambes. Un trou béant.
Les flics avaient parlé d'un suicide. Affichaient leur étonnement. C'est rare, m'avaient-ils confié, qu'une femme utilise un revolver.
Je m'étais demandé s'ils étaient insensibles ou cons.
Qu'est-ce qu'ils ont à dire des choses pareilles à un type qui chiale et qui a les mains qui tremblent ?
Ce mardi, je suis donc monté dans le train et de gare en gare, il a fini par me ramener là.
J'avais mal partout. Au dos, aux jambes, à la tête, aux tripes.
J'avais peur et j'étais vivant. Moi.

A l'époque, nous avions rampé et je tenais le pinceau. Il faisait nuit. Pour tout dire, on ne voyait rien. Rien du tout. On savait à peine où nous étions. Nous avions les genoux écorchés et nous nous en foutions comme on se fout d'une douleur à 18 ans. Nos jeans étaient maculés de cambouis et autres couleurs suspectes.
Nous avions repris notre souffle. Nous ne nous embrassions pas encore.
J'avais fait juste une tache. Une seule. De ce jaune tournesol que nous aimions tant. Une tâche sur un rail. On s'était dit en rigolant, on dit des rails ou des raux ? Fou-rire.
Nous avions ensuite regardé la peinture dégouliner et avions noté comme elle s'était arrêté pile à un moment, traçant des lignes, des chemins.
Nous avions compte les filets. On les avait appelé les lignes de vie.
J'avais regardé Dora comme jamais je n'avais regardé quelqu'un comme ça.
Elle avait dit que toutes les lignes s'arrêtaient brutalement, quand même. Ca fout un peu la trouille, elle avait ajouté. j'avais cru qu'elle me draguait. Je lui avait prêté mon pull. On avait regardé encore, et j'avais dit : Ce que nous venons de faire, c'est notre coin de soleil. Il suffira de venir ici à chaque fois que besoin et se réchauffer simplement en le regardant.
Elle n'avait rien ajouté et moi non plus.
Nous étions juste restés longtemps, à regarder dans les yeux ce soleil-là, le nôtre.
Nous avions notre coin de soleil et c'était tout ce qui comptait. On ne demandait rien d'autre à la vie que de posséder quelque part un endroit qui n'appartenait qu'à nous.
Cette nuit-là, nous fîmes l'amour dans un vieux wagon et j'ai paumé le pinceau.
Nous mîmes une rage qui aurait dû nous alerter.
Je n'avais pas de capote et elle ne prenait pas la pilule.
La vie avait fait son oeuvre comme disent les optimistes. Sa merde, comme pensent les pessimistes.
Plusieurs nuits de wagon et plusieurs haltes devant le soleil et nous arrivâmes vite en septembre. Chacun repartait vers son destin. Diplômes, stages, emplois.
Je venais juste d'apprendre qu'elle était partie et que j'avais un fils de 17 ans. Elle me donnait rendez-vous au soleil. Je m'étais juré de ne jamais revenir là et je reviens là pour la voir elle qui n'est plus là.
Je ne suis pas seul à le partager, ce coin de soleil. Il a un fils. Et moi aussi.

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