Il tapa dans le caillou qui gicla dans une étincelle et alla cogner le piquet de parc en pleine pénombre. Il alla le cueillir, en tâtonnant, toujours aux aguets. Il faillit se déchirer un morceau de peau au contact du fil de fer barbelé. Il sentit de la mousse et espéra que ce ne fut pas de la bouse. C'était de la mousse.
Quelques minutes plus tôt, marchant d'un bon pas, il criait à la nuit et aux animaux alentour qu'ils n'avaient qu'à venir, qu'il ne se laisserait pas faire.
Terrifié, il hurlait dans ce silence de la campagne nocturne qu'il n'avait pas peur.
Il n'était pas question de fermer les yeux. Des hordes de loups se précipiteraient. Ou des chiens. Il avait peur des chiens. Ceux qui errent. Ceux qui renfilent et parfois grognent. Ceux qui semblent dominer tout l'espace. Il imagina aussi un lynx sur ses pattes de velours. Un cerf qui passait par là. Une buse qui le scrutait de ses yeux perçants.
Dans une meute, je serais le dernier, celui qu'on est prêt à laisser crever, pensa-t-il. Il s'était toujours senti plus faible mais n'était sûr de rien.
Alex se disait, à l'instar de cette phrase qui lui trottait dans la tête depuis qu'il l'avait lue, que l'art de vive est un art du combat. Il pensa à Chateaubriant, aussi, qui estimait qu'on lui avait infligé la vie.
Il avait envie d'en découdre et il marchait le long de la route encore humide, longeant forêts et champs.La lune se taillait parfois une apparition dans les nuages.
Il avait laissé sa voiture dans le fossé.Il avait loupé un virage. Il n'allait pas très vite. La voiture s'était comme déposée, elle avait longé en tout cas le bord de la route et s'était endormie là.
Il tournait et retournait le caillou dans sa main et profitant d'une clarté put voir qu'il était blanc.
Il le nettoya, l'aimant déjà, l'aimant ainsi, écorché, pas régulier, un peu usé et en même tout blanc. Il sentit au toucher qu'il était encore un peu chaud et le mit dans sa poche.
Il avait aimé l'étincelle.
Il avait décoché son tir sans faire exprès et pour lui, une rencontre, ce n'était rien d'autre qu'une foultitude d'événements qui se relient les uns aux autres pour conduire ici, là, maintenant.
Il avait quitté tard ton travail en ne sachant pas qu'il ne reviendrait pas le lendemain. Tout s'était enclenché. Il avait commencé sa semaine un dimanche en sentant que ce serait sans doute la dernière parce que sûrement c'était celle de trop, et même celle en plus du trop d'avant. Mais il ne se murmurait même pas ces pensées. Il luttait contre ses jambes molles et ses maux de ventre. Il bagarrait comme on ferraille pour dénouer un lacet trop serré par les multiples tentatives d'avant. Il n'avait pas eu la force de la conduire au bout, cette semaine, et lorsque la voiture quitta la route pour aller s'endormir dans le fossé, il sut que le moment était arrivé.
Il sut qu'il allait la laisser là, et malgré ses peurs, qu'il allait partir à pied, non au hasard, il suivrait dans un premier temps la route, mais au petit bonheur la chance.
xxx
Quand il est monté dans la voiture, la première chose qu'il a vu, c'est l'heure. 2 h 34. Chiffres verts, gros, démesurés. Elle le regarda regarder. La seconde qu'il retient, c'est l'odeur. Elle claqua la porte en remontant et la première couina quand elle démarra. Elle regardait à peine la route, expliquant qu'elle roulait à l'huile de friture. Elle venait d'ailleurs de finir sa tournée.
Il avait entendu sa carlingue venir de loin et il n'avait pas eu le temps de se planquer que déjà elle s'arrêtait. Une femme sortait de l'étrange véhicule, retapé de partout, le véhicule, un pare-choc tenant par un fil électrique, une ou deux lampes ne fonctionnaient pas, une aile semblait se décoller, pour un peu, les pneus n'étaient pas tous de la même taille..
La femme, toniturante, lui gueula littéralement dessus ne lui proposant pas de grimper, c'était pour elle évidence. Le village arrivait à vive allure. Pour un peu, il leur fonçait dessus car elle conduisait vite. Vite et sûr. Il se sentait curieusement tranquille.
Suzanne, c'était son nom, était du genre à prendre les choses en main et à ne rien laisser filer.
Elle faisait les questions et les réponses.
Elle avait repéré sa Polo dans le fossé. Elle avait décidé qu'elle irait la rechercher demain avec le Raoul et son tracteur. Elle avait indiqué le canapé lorsqu'ils étaient entrés dans une maison où l'ordre régnait. Elle lui avait ordonné de venir l'aider à vider ses litres d'huile dans la réserve. Il s'en était mis partout sur les chaussures. Elle était revenue avec des bottes et un tablier.
Lorsque Alex s'est couché, elle ronflait, il était 4 h 52.
A 7 h 24, Raoul débarquait et elle lui servait un café, le genre qu'il trouva bon alors qu'il ne faisait que cuir dans sa casserole depuis des jours et qu'il avait horreur de ça.
Ils partirent alors qu'il cherchais le sucre et furent de retour malgré le tracteur alors qu'il venait juste de le trouver.
Suzanne annonça que Gilbert allait passer. Gilbert, c'était un peu le garagiste. Il tiqua sur le un peu pendant que Raoul et elles gloussaient en ouvrant une bouteille de vin blanc. Ils évoquaient Daniel, qui était un peu médecin, il avait fait une année pour devenir vétérinaire avant d'opter pour la marine. Il était revenu avec des tatouages, essayant de se lancer là-dedans pour finalement reprendre la ferme familiale. Il soignait les animaux du canton.
Il sentait le caillou dans sa poche.
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