samedi 19 février 2011

Le lit de la rivière

Il avait décidé de remonter la rivière, comme ça, les pieds dedans. Flic, floc. Juste pour voir où elle allait, ou plutôt, juste pour voir d'où elle venait. Il la fréquentait depuis tellement longtemps, la connaissait finalement si mal. Ce n'était pas une promesse qu'il s'était faite, ça non, et à dire vrai, il fut le premier estomaqué en mettant les pieds dans l'eau, même si personne ne l'accompagnait pour voir ça ce matin-là.

L'idée l'avait toqué un soir, au débotté, il fumait tranquillement sa cigarette, assis sur le rebord du monde, contemplant une lune généreuse, notant que peu de nuages et peu d'étoiles, comme si tout était fait pour qu'il admirât la ronde compagne des hiboux.

Tiens, il s'était dit. Et si je remontais la rivière, comme ça, juste pour voir où elle va, ou plutôt juste pour voir d'où elle vient ?

C'en était resté là. Longtemps. Disons plusieurs semaines.
Et puis ça lui était revenu. Il avait le temps ce jour-là, il ne faisait pas trop mauvais, ni chaud, ni froid, une journée de printemps, allez chiche, pourquoi pas, je tente, j'y vais et tout cela l'amusait assez, il aimait avoir des pensées saugrenues.

Quand même, l'eau doit être fraîche pensa-t-il, avant de grimacer en posant le pied dedans. Se força, ne le retira pas. Ca, pour le moins, elle était fraîche ! Glaciale, même ! Mais une idée devenue parole est une promesse.

Il entreprit donc l'ascension, si l'on peut dire. Plusieurs heures passèrent. Nécessaires. Roder le pas, choper le bon geste, se forger l'expérience, aussi. Il s'était rapidement habitué à l'eau, aussi, il n'avait pas ri quand un trou l'avait fait basculer tête la première, puis à cela aussi s'était habitué, ces dérapages, la concentration à mettre dans le pas pour éviter l'incident, ou alors la concentration à mettre dans le redressement. Cela arriva à plusieurs reprises.

Le lit de la rivière n'était pas un fleuve tranquille. Il avait tenté le plein milieu, essayé plutôt de longer les bords, tenté de danser sur des cailloux lorsqu'ils apparaissaient en surface, l'eau tantôt juste au-dessus de la semelle, tantôt à hauteur de genoux, tantôt proche de l'aine.

Bref, il cheminait. Incontestablement. Il avançait et il fut assez esbaudi, lorsque la faim commença à lui scier les jambes, de noter que la nuit commençait à tomber.

2 commentaires:

  1. Il avait décidé de prendre la rivière, comme ça, les pieds dedans. Flic, floc. Juste pour voir où elle allait ou plutôt, juste pour voir où elle le mènerait.
    "Plus rien à perdre" s'était-il dit, "j'me casse". Certains prenaient des trains, d'autres des avions. Et pourquoi pas une rivière ? C'est sympa une rivière, c'est cordon et liquide, un côté maternel, retour aux sources de la vie.
    Fils de rivière, il partait vers la mer.
    Il avait tout perdu, femme et enfants, demeure et espoirs, ambitions et histoire. Nu à l'intérieur, sa carcasse ne valait plus rien. Dernier sou, dernière chance, il miserait tout sur le même numéro. Il s'allongerait dans son lit et se laisserait porter, guider, ballotter peut-être. Car c'est l'effort qu'il fuyait. Plus la moindre goutte de carburant pour cela. Il se laisserait faire. Rivière providence et rivière refuge, il lui offrait son dernier souffle, les bras de la volonté à jamais baissés.
    Mais c'était sans compter sur la nature. Miss Rivière ne lui laissa pas le choix. Elle fit la légère, celle qui n'avait pas compris. Elle n'avait aucune profondeur. Pas assez en tous cas pour porter un moribond inerte. Elle l'obligea à se mouiller les godillots comme on mouille sa chemise. Il voulait voir la fin du film? Il lui faudrait marcher, ramer de la volonté, s'arracher. Il pestait. Qu'il peste !
    Un pas appelant l'autre, sûr d'atteindre le niveau d'eau lui permettant d'être soutenu, il finit par reprendre des forces et du goût.
    C'est un appétit d'ogre qui le fit défier le fleuve qui approchait tel un Rastignac défiait les capitales.
    Marcher pour ne pas crever, c'était la leçon de la rivière.

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