vendredi 2 mars 2012

En forme d'aumônière.

Cela fait déjà longtemps que je la croise. Souvent. Toujours au même endroit.
C'est à l'heure où j'ai terminé mon jogging, que je m'accroche aux grilles du parc voisin pour faire mes étirements, qu'elle promène son chien.
C'est une jolie cinquantenaire fraiche et à l'allure soignée. Nos regards se croisent sans se toiser, se frôlent sans se poser. Nous partageons la même discrétion et sans doute les mêmes interrogations. Deux beaux yeux intelligents scrutent et pensent de façon évidente. Pour faire vite, disons qu'il y a du niveau derrière le front.
Si dans sa tête c'est comme dans la mienne, elle doit me fabriquer un statut, une histoire, des goûts et des tranches de vie. Elle n'est pas belle, mais on pourrait dire que c'est une belle femme, comme on dit parfois de celles qui l'ont été. J'ai souvent, pendant que, transpirant, je tirais sur mes muscles, avoué une pointe de jalousie envers ces messieurs d'un autre âge, qui, profitant d'un compérage de maitres de chien, lui adressaient la parole sans retenue et sans préliminaires. En trois phrases, ces gens-là se connaissent, se reconnaissent et se trouvent des complicités, des ressemblances, des expériences communes de croquettes, de nonosses et de vétérinaires. Cela me rappelle le temps où, aux sorties d'école, j'avais plaisir à échanger, d'un faux air détaché, avec les jolies mamans des autres enfants. C'était facile. Les parents parlent aux parents. Et les propriétaires de clébards parlent aux propriétaires de cleps. En bout de laisse. Mais les joggeurs et les maîtresses, fussent-elles jolies et distinguées, ne s'adressent pas la parole spontanément.
Mon imagination a eu le temps de faire des siennes et de se persuader que la dame était une divorcée de longue date, un divorce décidé par elle-même. Sa première déception amoureuse fut la dernière et plus jamais elle ne fit confiance. Alors, elle se vengea sur la carrière professionnelle. Intraitable et insatiable, elle monta les marches à la vitesse d'une descente de toboggan, sans difficultés et sans jamais jeter le moindre regard, ni derrière, ni sur les côtés. Elle reporta son affection sur un chien, qui n'était certainement pas le premier, ersatz de mari, d'enfants et d'idéal. Les prétendants étaient nombreux mais les élus n'étaient autorisés qu'à consommer et se faire consommer, jamais à aimer ou à l'être. Je les imagine, promeneurs de canidés à la séduction, sinon facile, au moins facilitée.

J'ai revu la dame aujourd'hui. Mais le contexte était très différent.
J'étais en civil et la rencontre a eu lieu dans un autre quartier. Un échange de regards qui disait : "Je t'ai reconnu, je sais que tu m'as reconnu aussi". Nous nous sommes reconnus et avons failli nous saluer comme si nous nous connaissions. Nous freinâmes à temps. Je quittai les yeux d'azur et les miens, de cochon, filèrent vers la main droite de ma semi-connaissance. Elle pinçait, entre pouce et index, auriculaire en l'air, avec une distinction proprement éblouissante, un petit paquet en forme d'aumonière. Que contient donc le paquet ? J'imagine des dragées, des macarons colorés, des chocolats haut de gamme... Le temps de me poser la question que je comprends la réponse. Je relève les yeux vers les yeux. La promeneuse a compris que j'ai compris. Le rose aux joues jaillit et le charme construit par des mois d'imagination, s'évanouit immédiatement.
La si-raffinée-belle-femme, la si-distinguée-jolie-dame, la si-impressionnante-voisine-de-parc, tenait dans sa main droite, un mouchoir en papier contenant les excréments de son chien. De la merde dans un kleenex en forme d’aumônière ! C'est dégueulasse !

12 commentaires:

  1. C'est sans voir que ramassant les excréments de son chien dans son aumônière, la belle veille à ce qu'aucun jogger en sueur ne choit dans la marde. Si c'est pas du propre !

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    1. J'avais lu "la belle vieille". Ouf ! On va quand même pas lui filer une médaille parce qu'elle ramasse ses crottes familiales. Elle a cassé le rêve et ça c'est plus grave, ça mérite des travaux d'intérêt public. Oui, tiens, pourquoi pas 2 jours de moto-crotte pour la jolie-pas-si-vieille ?

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  2. Voilà bien un texte frustrant !
    Parce que moi, ce qui m'aurait intéressé, c'est pas de savoir qu'elle ramassait les crottes de son clébard, c'est de savoir si ce que le mateur qui court et imagine s'est avéré exact. A-t-elle divorcé ? A-t-elle décidé le divorce ? S'est-elle plongée dans son travail ? Autre chose ? Et de savoir en retour si elle aussi a fomenté des scénaris en pensant à ce jeune homme en sueur et lesquels. Vous prenez le thé prochainement ? :-)

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    1. Si suite il y a, je ne manquerai pas de vous informer. C'est pas rien les amis. Mais dans ce commentaire, ce qui m'incite à peut-être un jour mener l'enquête, c'est ce terme de "jeune homme" qui me redonne une vigueur de retour de printemps. Merci, c'est pas rien l'Amitié ;)

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    2. Mais c'est le jeune homme, qui a écrit tout ceci, évidemment !
      Il me tarde de découvrir la jeune femme :-)

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  3. Et bien ça sent le printemps chez les hommes d'ici ! ;o))

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  4. Pour "les hommes d'ici" c'est toujours le printemps, chère Ludivine. Ce sont des scorpions, je te le rappelle ;-)

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  5. Moooon... scorpion ! Je comprends mieux ! ;o)

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  6. Je ne vais pas ajouter ma touche scorpion à moi, mais je sens bien les prémices du printemps dans ce texte, même si tu dis très justement que le printemps chez vous, c'est toute l'année!
    Bises à tous

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  7. Je manque à tous mes devoirs : En photo, les aumônières faites maison de MaDame J, mon seul "printemps" vous le savez bien ;-)

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  8. Une "passante" de Georges Brassens !

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  9. ..."qu'on n'a pas su retenir"... pour l'instant ;)
    (Merci pour ton passage Antoine)

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