dimanche 18 décembre 2011

Après tout


Il m'a dit, ma femme est un sacré mec, tu sais, et disant cela, il  n'afficha pas un sourire qui disait la satisfaction de la formule trouvée, mais sembla plutôt s'engouffrer voluptueusement dans un silence nourri, comme s'il savait l'éternité durable, là, soudain, comme s'il domptait les siècles et n'en faisait qu'un à l'intérieur de lui-même.
Peut-on ainsi être l'Histoire et le Présent et gambader vers Demain ?
Je voyais dans ses yeux mille et une générations céder le passage à tout de suite, s'effacer avec le respect de ce qui est aujourd'hui. De ce qui survient. Inéluctablement. Ses cheveux avaient des airs de frise chronologique. Des fourmis dans les jambes, il semblait pouvoir jaillir de son siège.
Il aurait pu me dire qu'il revenait du Soleil, ou de la Lune. Je n'aurais pas été étonné.

Il m'a dit, il faut sacrément qu'elle se batte, tu sais, et disant cela, il semblait être parti dans des cimes que seuls les regards peuvent parfois trouver, vers ces contrées inconnues et immenses où l'on voit des choses que nul ne voit, que nul n'oserait imaginer, dont on ne parle jamais vraiment et c'est dommage.
Je pensai avec insistance que décidément, chaque être est unique.
Je percevais sous ses tempes l'alchimie qui se nouait. Il était tendu comme on est parfois tourné vers un objectif. Me disant quelque chose, il me disait tellement de choses !
Je pensai à la force de la vie.
On s'était installé dans un café et il n'avait pas l'air malheureux. Il réfléchissait, certes, mais pas comme on est préoccupé. Pas comme on est triste. Il pensait, en vérité. Et aspirant ma boisson avec une paille parce qu'on venait de me refaire les dents de devant avec ce que cela induisait d'obligations de tourner à la purée pendant quelques temps ceci induisant la désagréable sensation d'avoir les joues transformées en ballons qui jamais ne dégonflaient, je le regardais comme on découvre son propre silence.
Le mien était lié aux circonstances. Le sien a un choix.
Il n'avait pas toujours parlé aussi lentement. Il n'avait pas toujours pris ainsi le temps de laisser les mots arriver, respirer, grandir, se transformer. Il était je et j'étais tu. C'était curieux. Il m'embarquait dans son ailleurs et je me sentais voyageur, soudainement. Propulsé dans un pays sans paysages et dont je ne comprenais pas toutes les subtilités de la langue. Je m'en fichais.
Je pensais à sa femme, et ainsi qu'il le désirait probablement, à toutes les femmes. Je voyais  l'échelle du temps et mesurait sans instrument de mesure aucun ce qu'elles vivaient à l'aune de ce qu'elles avaient vécu, ces femmes. Ce n'était pas simple.
Ce faisant, comme lui sans doute, je pensais aussi aux hommes de ce siècle et des siècles précédents. Pas simple non plus.
Je songeai derechef à nos enfants. Les miens, les siens, tous les enfants du monde.
Et alors je luis dis : mais bordel, qu'est-ce qu'on est donc en train de foutre ?
Il me cita un philosophe, me rappela plutôt ce qu'il avait dit, ce philosophe. Que le bazar avait commencé lorsque l'homme avait fait de la nature non sa mère mais sa fille.
J'y perdais mon latin. L'Europe venait de perdre son grec. Je me demandais avec délectation de quoi serait fait demain. Comme si je n'avais plus peur. Après tout.

Musique inspirante

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