jeudi 15 décembre 2011

Je la vis

C'est quand ma tête a heurté le mur que j'ai pris la décision de partir. De détaler. J'avais raccroché le téléphone quelques minutes plus tôt, quelques heures peut-être, et du sang glacé dégoulinait de mes oreilles éteintes. Nous avions parlé, une fois de plus, il ne nous restait finalement que cela vu que nous ne le faisions plus, mais le poids des mots qu'on ne s'était pas dits avant et qui survenaient tardifs et désordonnés me tendait le colonne vertébrale. Je n'en finissais pas de ressentir comme les phrases parfois peuvent être des poignards qui s'enfoncent en soi,  et s'enfoncent encore. Nul cicatrice apparente. Pas goutte de sang. Des poignards qu'il m'arrivait parfois de m'enfoncer moi-même, dans une sorte de cri dérisoire, appelant la douleur de peur qu'elle ne se sauve ou quelque chose de cette faconde-là.
Cette réalité dont je ne voulais pas m'envahissait de partout.
Le seul constat qui valait était qu'elle était partie. Pour de bon, elle avait dit. Personnellement, je ne voyais rien de bon là-dedans, je ne voulais pas de ce départ. Je m'étais même qu'il n'était pas réel. Ou que s'il l'était, il n'était pas durable. Et que s'il l'était, ça ne durerait pas.

Je tapais des pieds rêvant de foutre mon poing dans la gueule au premier con qui passerait par là. Mais j'étais seul, plutôt bras ballants.
Il me restait mes souvenirs. Des miettes. J'en fis nourriture, ma foi. Je n'avais rien contre un peu de frugalité. Elle permettait de mesurer l'abondance.
Béa  avait quitté l'appartement. Elle avait promis que ce n'était pas au bras d'un autre, ce qui m'aurait anéanti et ce dont je me fichais en même temps puisque ce n'était pas à mon bras. Elle ne savait plus où elle en était me disait-elle. Je l'écoutais, ses mots tuant les miens. Nous faisions mines de régler des détails.
Des détails, des miettes.
C'est peu de choses, finalement. Je restais dans le noir, parce que mon chez moi, me disant qu'on m'avait  amputé de ma lumière. Et puis je n'avais pas toujours la force d'allumer les lampes.
Il y a des jours, il fait nuit tout le temps.
Je me surprenais de la posture conciliante que j'avais adoptée, réservant mes sanglots à plus tard, les planquant derrière je ne sais quoi, oubliant presque de dire à quel point je souffrais, à quel point cet abandon était une flèche empoisonnée. Aucune opération n'était possible. Restait le caillou.
Alors la tête qui tape le mur, ce fut le signal. L'ordre. Il me fallait faire quelque chose.
Partir fut la seule idée qui me vint.
Alors je suis parti.
A la hâte, les yeux embués, les mains la tête ailleurs. J'ai mis des affaires dans un sac, chopé quelques bouquins, choisi quelques CD, vérifié que j'avais ma carte bancaire et mes papiers. Et je suis parti.
Je me suis retrouvé le lendemain au bord de la mer. A regarder des joggeurs déambuler en secte étrange le long de la plage. A attendre qu'un bar ouvre ses portes pour boire un café. Les yeux épuisés.
C'est là que je la vis.

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