lundi 26 décembre 2011

Le temps du départ



Il a pointé son index sur la carte et il a décidé de se rendre là. Daoulas. Ou Loperhet. Ou La Forest-landerneau. Ou Guipavas. Il verrait bien. Il verrait sur place.
Il avait noté Partir sur son agenda à la date du 26 décembre et on était le 26 décembre. Il était donc temps de partir et lui qui était déjà parti tant de fois trouvait que ce coup-là, ce n'était pas tout à fait la même chose. Pas tout à fait le même départ.
Peut-être parce que là, il partait.

Il ne savait quelle locution y accouder. Aucune ne lui convenait tout à fait. Partir vraiment ? Partir pour de bon ? Partir enfin ? Partir, et voilà tout. Il en restât là.
Il est monté dans sa voiture avec des habits et quelques restes des cadeaux de Noël. Il avait traversée la fièvre sans une égratignure. Tout s'était enchaîné, parfaitement huilé, dans les clous de ces chaînes que sont les liens indéfectibles. On l'avait observé. C'est tout. Les mots s'étaient tus. C'était très bien ainsi.
Il a démarré la voiture et il est parti. Il  dit au revoir. Il a bu un café de plus que prévu. Elle l'a regardé partir. Il lui semble qu'elle a agité la main. Discrètement. Il n'est pas sûr qu'elle l'ait souhaité. C'est venu comme ça. Il a salué en retour.
Au début, ce départ-là a ressemblé à tous les autres départs. Rouler, suivre les routes qui se présentent, comme si tout était tracé, déjà.
Puis il a bien fallu s'occuper l'esprit.
Il connaît  tellement tous ces paysages qu'il ne les voit pas vraiment. Il n'est pas certain de vouloir les voir. Il a même envie de ne les voir plus. Mais ils sont là. Alors il les regarde. Il a mis un CD dans l'autoradio. Il écoute d'une oreille vague.
En fait, tout est  vague.
La route, la musique, ses pensées.
Il se dit de temps à autres, ça y est, je suis parti. A d'autres moments ça y est je pars. Il ne sait pas trop où il en est. C'est étrange.
Depuis plusieurs semaines, de ces semaines qui font des mois, il avait en tête ce 26 décembre, il avait rentré en lui cette date comme on se fixe un horizon, et maintenant, il était passé de l'autre côté de cet horizon, il était en quelque sorte entré en lui. Il le dépassait maintenant puisqu'il était encore dans ces moments où c'est ce qui est dans le rétroviseur qui occupe le champ de vision plus que ce qui est devant.
Il roule maintenant et il n'a pas encore atteint le cap. Ce cap où l'on délaisse le rétroviseur pour le laisser aspirer par le pare-brise. Il ne l'a pas franchi. Il se demande où ça va se passer. Il pense à ces noms exotiques, qui lui parlent, qui lui disent les espoirs à venir, qui lui disent ne te retourne pas.
Il ne se retourne pas.
Il se demande pourquoi il n'a rien écrit aux pages suivantes de son agenda.
Par exemple, il n'a pas écrit arrivée le 26 ou le 27. Ni regarder, manger, voir, dormir, chercher, trouver, rêver, sourire, pleurer, avoir mal au ventre, aimer les algues, rencontrer Mathilde, etc. Non, il n'a rien écrit.
Il hésite.
Il se demande s'il n'a rien écrit parce qu'il n'y a rien écrire, que sait-on de tous ces demains ? Il se demande s'il n'a rien écrit parce qu'il n'a pas osé écrire quelque chose ? Il se demande s'il n'a rien écrit parce que maintenant, il est dans une autre langue, un autre monde, presque, et pourtant, cette voiture, ces routes, cette destination, il connaît, tout cela, il l'a tellement fait, il les a tellement parcourues ces distances.
Peut-être que là, ce n'est pas une distance.
Peut-être que là, ce n'est pas une destination, un horizon.
Car là-bas, il va s'installer. C'est le lieu qu'il a choisi. C'est là qu'il va vivre.
Alors il pense que cette route, c'est un peu le chemin de sa naissance, il repense à sa propre naissance, comme si on le pouvait, comme si on avait gardé trace de ces instants, où l'on évolue dans le noir utérin pour débarquer toutes sonnettes hurlantes dans le vaste monde, projecteurs pleine tronche.
Il regarde la route, cette route, qui semble lui indiquer le chemin, finalement.
Il se dit, c'est peut-être elle qui décide de tout, finalement. Mon doigt n'a provoqué aucun mouvement. Il n'a fait que le suivre.
Et il roule ainsi. Il n'a pas faim. Pas soif. Il roule.
Et puis il arrive.
Et puis c'est là.
Et puis il y est.

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