lundi 5 décembre 2011
Sur le coup, nous n'avions pas fait attention jusqu'à ce qu'on finisse par grimper sur le toit. Là, ça ne rigolait plus. J'avais réussi à transformer tout cela en jeu mais je m'épuisais et ce n'était pas très bon pour mon dos. Une demeure, au départ, on vit dedans. On l'avait fait pendant pas mal d'années, bien douillets. Après, on a commencé à vivre dessous. Maintenant, on était dessus. C'est l'air de rien tout un art que d'apprendre à dormir sur un pan, ou d'utiliser la cheminée pour s'y adosser. Surtout à quatre. Encore heureux qu'on avait opté à l'époque pour qu'une partie du toit soit végétalisée, et plate. On avait pu installer une tente. Mieux que les premières nuits que j'avais transformées en super les gars on va dormir à la belle étoile, regarder le ciel et la lune, faire des voeux. Rosa avait vite renoncé. On avait dû repêcher un ou deux gamins qui avaient glissé dans leur sommeil, d'où l'installation sur le toit plat malgré les drôles de bestioles qui y vivaient. Ca grouillait et ça rampait. On avait dû organiser quelques parties de pèche, mais je trouvais que globalement, nous ne nous en sortions pas si mal. Surtout que la tente avait été rangée je ne sais où et qu'il avait fallu du temps pour la repêcher. Puis la faire sècher. Quelques oiseaux avaient détalé, comprenant que l'on en avait pour quelques temps. Le comprenant mieux et plus vite que nous. Ca n'avait pas loupé : Rosa avait noté qu'on avait quand même sacrément perdu l'habitude de comprendre les animaux. Elle n'en démordait pas et ça ne m'étonnait pas plus que cela : selon elle, tout cela, c'étaient des signes. Elle ne décolérait pas : On n'est pas foutus de décoder, bordel. Si ça se trouve, ils nous annoncent quelque chose, et nous, on ne voit rien. Nous sommes devenus aveugles et sourds, voilà ce que je crois, grognait-elle, le front luisant, l'oeil chargé de flammes. Impuissante. Tous nos bouquins avaient été dévorés par l'eau, ils flottaient lamentablement quelques mètres sous nos pieds. J'essayais de positiver. Ne te plains pas, l'eau s'est arrêtée, on peut encore avoir le toit. Repense au film avec, zut, comment il s'appelle lui, euh, attend, ça va me revenir, Mel Gibson, je crois.- C'est pas plutôt Kevin Costner ?- Oui, c'est ça, Kevin Costner, dans le film où l'eau a tout recouvert et où ils survivent comme ils peuvent. Eh bien te plains pas, ça pourrait être ça qu'on vit et on en est loin, tu peux me croire.- Mais c'est déjà ça qu'on vit, mon vieux ! Et elle ne tourna pas les talons, parce que c'était trop bancal, mais haussa les épaules. Je savais de toutes façons que quand elle m'appelait mon vieux, lèvres pincées, regard de biais, c'était terminé. Et pour moi. Et pour la discussion. Je faisais toutefois montre de philosophie. Il fallait bien que les nerfs lâchent un peu. De temps en temps. Je la comprenais. C'était tout de même assez inconfortable, tout ces campements sur l'ardoise. La veille, c'étaient les voisins qui avaient chauffé, elle finissant par se jeter à l'eau avec un hurlement désespétré et lui par lui tourner le dos quelques secondes, le temps sûrement de se souvenir qu'elle ne savait pas nager. Il avait hurlé j'arrive ma chérie, ne panique pas, me voilà, n'aie pas peur, et ploutsch, c'était jeté à son tour dans l'eau boueuse et chaude pour la hisser sur le toit. Pour sûr, elle avait perdu de son allure elle qui sortait en ville attiffée comme une donzelle sortie d'un magazine de mode, maquillée de près et de partout, ne faisant pas son âge mais pire que son âge ce qui n'était pas pour déplaire au quartier. On aimait se moquer de ses déhanchements ridicules. De ses pas claudiquants mal assurés la faute à des talons trop biscornus. Elle fut éteinte pour le coup par cette douche froide et Rosa et moi échangeâmes un sourir. Ca nous changeait des petits cris étouffés mais obsédants et pour tout dire obscènes qu'ils lâchaient de manière invariable un soir sur deux, aux alentours de 1 h du matin. Ils n'avaient pas d'enfants. Rosa et moi étions soucieux nous qui en avions mais on n'avait pas encore réussi à les envoyer chez leurs grands parents, eux aussi locataires de leur toit, mais avec plus de chance que nous leur maison étant plus haute. Ma belle-mère adorait nous vanter ce grenier qu'ils avaient aménagé et en faisait des tonnes avec son mari qui, fût un temps, avait voulu refaire la maison et le raser pour payer moins de chauffage. Tu vois, tu vois que j'avais raison, criait-elle dans le téléphone. Qu'est-ce qu'on ferait aujourd'hui, hein ? Des fois, je me demande vraiment ce que les hommes ont dans la tête !Bref, ces proximités, ces inconforts, ces situations incongrues, ajoutées à cette eau et à cette chaleur : il y avait beaucoup d'éléments pour que ça dégénère. En ville, ça ripait souvent. Les pompiers avaient triplé leurs effectifs. Les canots étaient devenus leur moyen de locomotion et le ministère réfléchissait à trouver comment installer sur des bouts de toile des sirènes et des phares. Les policiers, eux, avaient dû embaucher à tour de bras les militaires de réserve pour tenter de faire en sorte que règne un semblant d'ordre dans la ville. Mais le problème des uniformes s'était vite posé et la seule consigne qui était restée avait été : mettez un truc bleu dans vos cheveux, ça ira bien comme ça. Lorsqu'ils partrouillaient, hirsutes, un peu hippies, dépareillés qui avec une écharpe, qui avec un bob, qui avec un mouchoir, un bout de plastique ou un bonnet, ils ne faisaient pas bien sérieux et certains le comprenant moins bien que d'autres, ils avaient tendance à en faire un peu trop dans l'autoritaire. Les amendes pleuvaient. Personne ne payait. On disait tous que tout était dans la maison. En vérité, Rosa n'avait pas tout à fait tort. L'eau avait monté, monté, monté sans qu'on n'y puisse grand chose et bien qu'il n'y ait eu aucune goutte de pluie à se mettre sur le cuir. Pour tout dire, on n'avait rien vu venir bien que depuis les fenêtres de la chambre, on voyait la rivière. Son niveau avait grimpé et on aurait dû le remarquer si nous n'étions pas embringués dans nos petites considérations. On bouillait tellement en ville depuis des semaines et des semaines qu'on passait surtout du temps à se plaindre sans cesse de cette chaleur infernale. On déplorait ces nuées de moustiques qui s'étaient comme donné rendez-vous là, chassant les guêpes et les libellules au point que ça piquait dur dans la nuit et que dans l'urgence, on avait du imaginer des protection qui nous faisaient ruisseller du dedans et du dehors. On cherchait comment vivre avec cette chaleur, se réfugiant au départ dans les caves mais vu qu'elles avaient vite imposé le port des bottes, l'idée n'avait pas tenu trés longtemps. On n'avait pas fait le rapprochement, en plus. Pas vu, au sol, l'humidité s'installer. Puis se transformer en rizière. Et en rivière. En lac. En torrent. En mer. En marée. Rosa tempêtait. J'essayais de me transformer en digue. Mais le barrage n'était pas bien solide, il faut en convenir. Le grand jeu du moment était de chercher d'autres mots que canicule. Ca commençait à sentir le trop cuit, cette affaire. En peu de temps, on était passé de sécheresse à canicule et de canicule à on ne sait plus. Dans les magasins, la razzia sur les bouteilles d'eau minérale avait terminé en bagarre générale un vendredi vers 17 h. Le directeur du supermarché avait été obligé d'imaginer un système de tickets réduisant le nombre de litres achetés. Il y avait des files interminables à l'accueil du magasin. C'est là qu'on se faisait délivrer les fameux tickets. Il y avait désormais des caisses spécifiques où l'on se regardait en chiens de faïence, quand celui qui vous précédait par exemple avait droit au double ou au triple de packs que vous. Ceux qui avaient la chance d'avoir des puits chez eux avaient exhulté sur une durée trés courte. Réactivée, la pompe ne pissait rien d'autre que du vide. C'était à n'y rien comprendre et pour dire, on s'interrogeait de partout, du café du commerce aux plus hautes sphères de l'état en passant par les laboratoires de recherche et les bureaux de Météo France. Pendant quelques semaines, j'avais fait comme mes voisins. Nous avions installé un campement de fortune sur le toit, l'improvisant plutôt, et des solidarités nouvelles se faisaient jour. On se hêlait chacun depuis son mirador, qui pour demander des biscottes, qui pour savoir comment orienter l'antenne pour capter la télévision, qui pour demander des sacs plastiques et du scotch imperméable. On passait aussi beaucoup de temps à échanger des combines. J'avais par exemple appris comment tirer un cable depuis la maison innondée sans craindre de finir électrocuté. En échange, j'avais montré à mon voisin comment murer la cheminée pour y installer un foyer et transformer le tout en barbecue. Les enfants, eux, prenaient tout cela avec infiniment plus de joie, évidemment. Ils barbottaient sans cesse et en riant, se prenaient pour des stars de water-polo, dernier sport à la mode. Le petit avait appris en un temps record à nager dans cette eau chaude et le plus grand se spécialisait dans l'apnée, ce qui était plutôt pratique il faut en convenir. Depuis peu, des avions s'étaient transformés en bulletins d'information. Ils déboulaient avec derrière eux une grande banderole. C'est comme ça comme apprenait que du pain était disponible, ou que le maire venait d'acquérir de quoi construire un pont qui nous relierait à la ville voisine. Ou alors on nous demandait d'être volontaire pour aider à construire des radeaux pour des personnes âgées.
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