Photo Francis Beurrier |
Là, c'était un peu différent. Je m'étais réveillé comme on se réveille un matin même si c'était l'après-midi. 15 h 43 pour être précis. Je m'étais réveiller sans chercher plus que cela sauf que je venais de passer quelques temps ailleurs. C'était bizarre, comme sensation. J'étais de nouveau conscient, mais incapable de dire si je l'étais depuis quelques heures, quelques jours ou quelques minutes. Je n'avais plus vraiment la notion du temps. Je n'en avais plus besoin, non plus. Mes yeux s'étaient comme rallumés, je le savais de toutes parts, mais ils voyaient tout d'un autre oeil. Ce nouvel oeil me plaisait bien. Au début, j'ai donc décidé de prolonger un peu.
A côté de moi, un écran affichait des chiffres, mais ce n'était rien d'autre que le comptage robotique voire hynotique des battements de mon coeur. J'appréciais que la machine soit silencieuse. J'aimais moins, par contre, ces lettres vertes sur fond noir. Je ricanais tout seul. A-t-on besoin de vérifier sur une machine avec des chiffres en gros ce qui est par ailleurs évident. Naturel. Un corps qui respire, ça se voit. Le mien carburait bien, semble-t-il, mais je commençais à avoir mal à la tête. Je me demandais même si ce n'était pas si qui m'avait amené à retrouver mes sensations. La télé marchait, il y avait de la musique, les lampes étaient grandes allumées, partout autour de moi, des photos, des mots affichés, des papa, des je t'aime, des on est là. Des mots parcours, aussi. Chêne, foot, calumet, village, chamalow... Mes mots préférés.
Le coma est une abolition de la conscience et de la vigilance, m'avait expliqué une infirmière, plus douce que les autres, je veux dire, plus attentive. Elle m'avait expliqué qu'un coma était forcément consécutif à une lésion cérébrale, et que c'était lié à un traumatisme. Elle s'appelait Olivia et c'était l'une des rares personnes avec qui je me sentais bien. Tranquille. En harmonie avec ma manière toute nouvelle et pour tout dire franchement épatante de considérer la vie. Epatante pour quelqu'un comme moi. On ne peut pas dire, en effet, que mes quarante cinq premières années aient été d'une placidité à toute épreuve. Plutôt le genre qui ne tenait pas en place, j'étais un gamin plus avide de l'après que du maintenant. Plus tard, j'étais plutôt du genre actif qui réfléchit après qu'un réfléchit qui agit en connaissance de cause.
Là, non seulement je restais goulument assis ou couché dans mon lit mais en plus, j'y prenais un plaisir certain. C'est comme ça que cela a commencé. Dans ce bazar. Plein de choses me sont venues à l'esprit. Je sentais que paradoxalement, il me faudrait prendre rapidement une décision. Il y a des moments comme ça, dans la vie, où une espèce de conscience vous glisse à l'oreille que cette fois, ç y est, vous y êtes, vous êtes devant, au pied du mur, au début d'une fin, à la fin d'un début. Coma ou pas, absence ou non, c'est du pareil au même.
Il y a ce moment qui est là, ce moment unique, ce maintenant absolu, avec l'avant d'un côté, l'après de l'autre, vous au milieu, quelques secondes pas plus. Mais ces secondes là, c'est clair, valent des éternités à chaque fois.
Pour le coup, je n'étais pas mal placé. Je ne savais pas franchement si j'avais ou non fait un voyage, je sentais juste que j'avais le choix, un choix, et même dans ces lieux bleus de blanc, ça me semblait être un luxe extraordinaire.
Je savais. Que quand la porte s'ouvrirait, il me faudrait avoir choisi.
Je n'étais pas mal à l'aise. Décider ne m'a jamais posé trop de soucis. Surtout face à rien et revenant de nulle part. A moins que ce ne soit l'inverse. Face à nulle part et ne revenant de rien.Je n'avais finalement pas décidé de me taire, ce qui était la meilleure des décisions. C'est le silence qui s'est imposé à moi. Il s'est faufilé là-dedans je ne sais comment, nous nous observions lui et moi, peut-être bien depuis un sacré moment. C'est comme s'il me parlait tout doucement à l'oreille. Il y avait des gens autour de moi. Pas un n'a esquissé le moindre signe laissant penser qu'ils avaient entendu. Le silence me disait, attends, attends un peu, ne va pas trop vite. Prends le temps. Ne te laisse pas aspirer. Tu as mis tellement d'énergie pour te sortir de tout cela... Je comprenais ce qu'il me disait même si je ne saisissais pas tout ce à quoi ça faisait allusion. J'étais d'accord et cela me semblait suffisant. Alors non, je n'avais pas décidé de me taire. J'avais juste compris que le mieux serait de ne pas parler. L'alibi était parfait : je sortais d'un coma. Du coma. Un « sommeil profond » , pour reprendre l'expression d'où elle vient, c'est à dire du grec ancien.
(à suivre)
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